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Jules Rengade : La fleur mystérieuse

samedi 28 mars 2020, par Denis Blaizot

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Cette nouvelle de Jules Rengade a été publiée dans les n°549 au n°550 (4 au 11 juin 1898 1898 ) de La science Illustrée.

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Si vous vous êtes quelquefois promené dans une prairie aux premiers jours de mai — délicieux autant que salutaire exercice, dont la pratique ne saurait être trop recommandée — vous n’êtes pas sans avoir, çà et là, rencontré, parmi les, herbes et les fleurs, de grosses touffes de feuilles d’un vert sombre, formant couronne sur le sol,comme si de leur centre devait s’élancer une flamboyante tulipe ou la gracieuse tige d’un lys.

Or, vous n’avez jamais vu, quelle qu’ait été votre attention ; vous n’avez jamais pu voir, d’aussi bons yeux que vous soyez pourvu, s’épanouir une fleur dans ce bouquet de feuilles !

C’est, qu’en effet, une corolle, jamais, n’a déployé sur ce berceau ses odorants pétales ; jamais une abeille ; jamais un papillon ne se sont arrêtés à cette plante sans couleur et sans parfum.

Et pourtant, au milieu de cet énorme bourgeon étalé dans le pré comme un calice, vous avez souvent dû remarquer une sorte de pomme anguleuse, du volume d’une grosse noix, s’ouvrant d’elle-même, à maturité, pour laisser échapper ses graines ? Un fruit, pour tout dire ; et précisément le fruit de cette plante qui n’eût jamais de fleur !

Mais j’entends s’élever déjà vos protestations ; se formuler vos doutes. Que. nous contez-vous là ? vous écriez-vous sûrement. Le fruit d’une plante qui n’eut point de fleur ? Le monde renversé alors ? Une fin sans un commencement ? La charrue précédant les bœufs ? Le fils avant le père !

Rien de tout cela, néanmoins. Un rare et curieux phénomène ; un véritable petit mystère dont vous trouverez l’explication dans le conte que voici :

Vers l’année 1350 — ce n’est pas d’hier — un savant célèbre, maître Nicolas de Prévian, habitait, en puissant seigneur, sur les rives de la basse-Seine, un formidable château dont il ne reste plus maintenant aucune trace. Comme tous les alchimistes, il cherchait obstinément la pierre philosophale, sans réussir jamais qu’à grossir le fatras de ces compositions étranges dont les baroques formules nous semblent avoir été tirées aujourd’hui des laboratoires mêmes de Satan.

Maître Previanus, comme on le nommait dans les grimoires de l’époque, avec une passion jalouse, étudiait, en outre, les poisons ; aussi, ténébreux et défiant,allait-il lui-même, à certains jours, recueillir dans la campagne les plantes vénéneuses qu’il broyait dans ses mortiers et distillait dans ses cornues.

Donc, un matin du mois de mai, le savant, s’étant levé avant l’aurore, avait justement rapporté dans son laboratoire une brassée de ces plantes bizarres qui sortent en fruit de la terre, naissant pour ainsi dire à l’état adulte, alors que toutes les autres débutent par des fleurs. Il avait eu la patience d’extirper, de déraciner profondément chacune d’elles, dont les bulbes, pareils à ceux de la jacinthe ou du safran, étaient ainsi conservés en entier, avec leur houppe de radicelles.

Cette herbe énigmatique, en ce temps-là connue des mires et des sorciers sous le nom d’Hermodactyle, portait aussi le sobriquet de Mort-au-chien, indiquant bien ses propriétés funestes. Prévian, depuis une vingtaine d’années, la récoltait chaque printemps, composait avec ses bulbes des extraits médicinaux, mais cherchait surtout, avec une opiniâtreté sans égale, à découvrir la fleur inconnue de ce singulier végétal.

Oh ! cette fleur idéale, dont nul savant n’avait encore osé parler, cette fleur qu’il apercevait dans ses rêves, tantôt rouge, tantôt blanche, tantôt bleue, il eût donné tout au monde pour être le premier à la décrire dans le volumineux mémoire qu’il consacrait aux « Estonnantes, mirifiques et surprenantes vertus de l’herbe hermodactyle, laquelle croît ès prairies » ; mais ses observations, ses recherches, ses études multipliées restaient toujours infructueuses, l’hermodactyle s’obstinait à cacher ses fleurs...

Ce jour-là, cependant, maître Prévian, fier de sa récolte, se mit à l’œuvre, plus ardemment que jamais. Oubliant ses creusets qui se calcinaient dans ses fourneaux, il jeta sur la table, au milieu des parchemins et des matras dont elle était encombrée, une vingtaine de lourds manuscrits, et se mit à les feuilleter avec passion. L’œil enflammé, la lèvre marmottante, il tournait impatiemment les pages des in-folios, dont les marges usées, crépitaient sous ses doigts. Pour la millième fois, il passait avec anxiété du flos florum, d’Arnaud de Villeneuve, au De venenis, d’Averrhoës, se perdait dans le Canon médicinœ, d’Avicenne, et s’enfonçait dans le Pratica, de Sérapion, pour se rejeter désespéré sur l’Antidotarium, de Mésué. Temps perdu ! vaines recherches ! L’un disait blanc, l’autre noir ; celui-ci prétendait que l’hermodactylus croissait « ès montagnes », celui-là soutenait qu’il fallait le cueillir « ès berges des ruisseaux » !

Le pauvre alchimiste les eût volontiers tous envoyés au diable, mais, la fièvre le poussant, il cherchait, cherchait toujours, et le soleil à son déclin, projetait, des fenêtres sur les meubles, l’éclatant reflet des losanges de pourpre et d’azur, enchâssés dans le plomb des vitraux.

Maître Prévian menaçait enfin de s’immobiliser sur ses livres, quand la porte du laboratoire s’ouvrant tout à coup, une belle jeune fille entra, légère et radieuse comme une apparition céleste.

— Père, dit-elle d’une voix timide, la nuit approche, et le dîner vous attend.

— C’est toi, Marguerite, répondit l’abstracteur de quintessence, eh ! ma foi, mignonne, je suis heureux de te voir ici... Aussi bien désirai-je te dire un ’mot en secret...

La jeune fille, surprise, baissa les yeux.

— Tu devines de qui je veux parler, sans doute... de ce bel écolier du village voisin, à qui tu rêves beaucoup trop !...

Toute honteuse, Marguerite cloua ses regards sur la pointe effilée de sa mule de velours, qui rentrait et sortait sous les plis de sa jupe, comme une petite souris rose.

— Il faut oublier ce manant ! ajouta l’alchimiste.

— Oh ! mon père !... j’aime Landry, et lui-même donnerait sa vie pour moi !

— Chanson d’amoureux !

— Pour obtenir ma main, il n’est point d’œuvre hardie ou périlleuse qui le fît hésiter un instant !

— En vérité ?... mais alors...

À l’idée subite qui lui venait à l’esprit, les prunelles du savant s’illuminèrent, sa lèvre se fronça malicieusement, et d’un geste d’autorité, congédiant sa fille :

— Laisse-moi, lui dit-il, nous verrons. plus tard !...

Étonnée à la fois de l’étrange physionomie et de la réponse de son père, Marguerite sortit du laboratoire sans murmurer, mais le cœur bien douloureusement ému et les yeux baignés de larmes.

L’alchimiste alors frappa un petit coup sec à une porte voisine, et une sorte de rustre, moitié valet, moitié soldat, vint recevoir ses ordres.

— Que l’on m’amène à l’instant l’écolier Landry, dit le maître.

Quelques minutes après, un grand et beau garçon, à la physionomie intelligente, aux longs cheveux châtains retombant sur le collet de son pourpoint de laine, fut introduit auprès du seigneur.

— Tu te permets d’être amoureux de ma fille, fit celui-ci d’une voix railleuse ; que dirais-tu si, pour te châtier de ton insolence, je te faisais pendre haut et court à la muraille du château ?

— Le nom de Marguerite ne quitterait point mes lèvres et me ferait oublier l’horreur de ma mort...

— C’est répondre en parfait gentilhomme, répliqua l’alchimiste. Puis, montrant à Landry le bouquet d’Hermodactyles qui se fanait sur la table : Connais-tu l’herbe que voici ? ajouta-t-il.

— C’est un poison, répondit le jeune homme.

— Il ne t’est point destiné, rassure-toi. Cette herbe, je l’étudie depuis vingt ans. Elle sort de terre avec un fruit, et ne porte jamais de fleurs...

— Je sais cela, c’est un secret de nature.

— Ce secret, je veux le connaître, Landry !... Rapporte-moi la fleur de cette plante, et je jure devant Dieu de te donner Marguerite !

Une telle proposition, faite par cet homme, dont le visage et les yeux venaient de s’animer soudain, frappa tellement Landry, qu’il recula de stupéfaction,

— Cherche ! s’écria le savant, cherche, car tu ne reverras point Marguerite avant d’avoir trouvé cette fleur...

— Cependant !... si malgré mes efforts je ne pouvais la découvrir ? Ah ! vous me rendriez fou de désespoir !

— Ta folie serait ma vengeance !... va !

Et sur ces dernières paroles, maître Nicolas de Prévian fit signe à son valet de reconduire Landry hors du château.

Vous devinez sans peine quelle existence folle, quelle vie insensée mena dès ce moment le pauvre amoureux, Il explora d’abord toutes les prairies du voisinage, s’arrêtant minutieusement à chacune de ces plantes bizarres qui foisonnaient sous ses pas, déchirant brin à brin leurs feuilles, fouillant profondément le sol pour arracher leurs bulbes, usant ses ongles et ses doigts à les découvrir sous terre, perdant des heures entières à guetter l’éclosion des bourgeons les plus jeunes, dans l’espoir que ceux-là, plutôt que les autres, recelaient cette mystérieuse fleur- qui devait lui donner Marguerite. Son cœur alors battait avec une douce violence ; il brisait aussi prudemment que possible le bourgeon virginal...

Déception éternelle !... le bourgeon toujours cachait un fruit.

C’était invraisemblable, stupéfiant, incompréhensible ! Toutes les autres herbes fleurissaient avant de donner leurs graines ; tous les arbres jetaient à la brise la neige de leurs corolles avant de mûrir leurs graines ; seule, cette herbe inexplicable sortait à l’état adulte, du sol. Elle faisait venir il- l’esprit cette idée absurde d’un homme qui naîtrait à trente-cinq ans !

Landry, pourtant, ne se décourageait pas encore. Il recommençait, chaque matin, la pénible excursion de la veille, tant et si h.en que dans le village le bruit courut bientôt qu’il avait perdu la raison. D’aucuns s’imaginèrent même que le diable lui avait ordonné de faire cette étrange corvée, et dès lors ils se signèrent chaque fois qu’ils entendirent prononcer le nom de Landry. Pourtant le malheureux, que n’arrêtaient ni la fatigue, ni les malédictions, ni les sarcasmes, courait et cherchait toujours. Il suivit, Juif-Errant de l’amour, les deux rives de la basse-Seine, arpenta toutes les vastes prairies normandes, sonda tous les vallons, gravit toutes les collines, faisant des haltes de deux secondes cent fois par heure, et se brisant les reins à force de se courber.

Cependant le printemps était passé, l’été touchait à sa fin, et les maudites plantes, tranchées par la faux ou flétries par le soleil, devenaient de plus en plus rares. La tristesse alors s’empara de Landry, et son cerveau ne tarda pas à concevoir les desseins les plus funestes. Depuis près de six mois il n’avait point vu Marguerite, et ce travail de damné, qu’il accomplissait pour elle, l’avait amaigri, hâlé, épuisé, rendu presque méconnaissable. D’ailleurs, le sinistre alchimiste s’était vraisemblablement joué de lui ; la fleur qu’il demandait n’existait point, sans doute, et Landry se disait que la chercher plus longtemps, c’était peindre sur les nues ou labourer sur les vagues...

Rapidement l’automne vint ; les bois s’empourprèrent, jaunirent, et les feuilles moururent avec les gazons. Le vent soufflait avec force et les balayait ; on sentait déjà gronder l’hiver dans les profondeurs violacées du ciel. De longs mois de pluie et de neige allaient s’écouler avant que Landry pli ! recommencer au printemps prochain ses infécondes recherches ; ces tristes pensées mirent le deuil dans son âme... il préféra mourir.

Un jour, enfin, vers la mi-octobre, s’épanouit la dernière floraison des prés. Une multitude de grandes fleurs, d’un rose lilas, taillées comme celles des safrans. sortirent de terre sans feuilles et sans tiges, plus frêles et plus nues que les anémones au printemps. A les voir le matin s’ouvrir dans les prairies, on les eût prises pour des pétales de roses semés la nuit par quelque bonne fée. Et les paysans se disaient, à mesure que le nombre de ces fleurs augmentait sans cesse : « Allons ! allons !... voici les Veilleuses fleuries, c’est le temps de commencer les veillées d’hiver ! » Puis, le soir, les lampes brillaient dans les fermes, les feux de bois sec pétillaient dans l’âtre, et les servantes, sans perdre un mot de la légende contée par la mère-grand, tordaient le chanvre sous leurs doigts mouillés de salive, et faisaient, sur le plancher sonore, danser leurs fuseaux.

A bout de volonté, cependant, Landry, taciturne et sombre, se rendit un jour sur les hautes berges de la Seine, et se prit à songer aux moyens d’en finir le plus tôt possible avec la vie, Rapide et tournoyante, à ses pieds, la rivière coulait, profonde, agitant au milieu de ses eaux, comme pour l’attirer, de longues chevelures vertes. Et bientôt, fasciné par ce large courant aux remous tentateurs,le malheureux garçon s’y laissait petit à petit glisser, non sans se retenir encore instinctivement aux maigres brins de genêts qui croissaient sur la pente, quand tout à coup, il entendit derrière lui, à quelques pas, la petite voix sèche et rauque d’une vieille mendiante.

— Landry ! Landry ! tu veux mourir ! s’écriait la bonne femme ; attends au moins que je te donne un dernier conseil...

— Que voulez-vous, mère Barberine ?

— Je veux te sauver, Landry. et te sauver par le travail. Une heure seulement d’une occupation pénible et fatigante dissipera tes mauvaises idées.

— Que faut-il faire ?

— Vois ces jolies fleurs rosées qui couvrent la terre. Ce sont des Veilleuses. Arrache seulement une dizaine des plus belles avec leurs racines, et ce simple travail guérira ton cerveau malade.

— Et s’il augmente ma douleur ?

— Tu n’auras point perdu ton temps. Deux ou trois de ces racines mangées crues, te donneront, sans souffrances, le sommeil de la mort.

— Alors, mère Barberine, vous pouvez prier pour moi.

Ce disant, Landry, sans plus attendre, s’agenouilla devant une touffe de ces languissantes fleurs, et, de ses ongles usés, se mit à creuser la terre.

Mais soudain, comme il touchait aux racines, il se redressa brusquement, en proie à une émotion qui l’étouffait.

Il regarda de tous côtés sans proférer une parole. La vieille avait déjà disparu.

Retombant alors sur le sol qu’il venait de fouiller. il enleva d’un seul coup le bouquet de Veilleuses, et malgré le tremblement de ses doigts, malgré les pleurs qui baignaient ses yeux, il reconnut que les bulbes de ces fleurs étaient identiquement semblables à ceux de la plante maudite qui ne portait au printemps que des feuilles et des fruits !

La fleur de la veilleuse pouvait donc être celle que l’alchimiste demandait : celle qui devait faire obtenir à Landry la main de sa Marguerite bien-aimée ?

Était-ce possible ! Mais comment expliquer cette bizarrerie d’une plante dont la fleur seule vient en automne, et dont le fruit et les feuilles ne se montrent que six mois plus tard, après l’hiver ?

Presque aussi épouvanté qu’ébloui par cette découverte, Landry, la face contre terre, resta longtemps plongé dans une méditation profonde, imaginant les plus étranges théories sur le phénomène végétal, dont il connaissait maintenant le commencement et la fin.

Puis, comme si, tout à coup, une éclatante lumière s’était faite dans son esprit, il saisit les Veilleuses fraîchement déracinées, et courut d’un trait jusqu’au laboratoire de maître Nicolas de Prévian.

— J’ai trouvé !... s’écria-t-il d’une voix triomphante, en jetant les fleurs sous les yeux de l’alchimiste.

Mais celui-ci, souriant dédaigneusement :

— Pauvre fou ! dit-il, je t’ai demandé la fleur de l’Hermodactyle qui pousse au printemps, et tu ne me rapportes là, que des Veilleuses d’automne !...

— L’Hermodactyle et la Veilleuse ne sont qu’une seule et même plante, répondit Landry avec aplomb.

— Ah ! ah ! vraiment ?

— Examinez les racines de ces Veilleuses. Elles sont identiquement pareilles à celles de l’Hermodactvle.

Le savant s’empara fiévreusement des plantes rapportées par Landry ; d’un rapide coup d’œil il saisit leurs frappants rapports, leur évidente ressemblance, et soudain ses doigts tremblèrent, son visage pâlit.

— En effet ! C’est singulier ! murmura-t-il.

— Maître, continua le jeune homme, la Veilleuse sort de terre l’automne, sans feuilles et sans fruit ; l’Hermodactyle, au contraire, ne donne au printemps qu’un fruit et des feuilles ; cette plante-ci doit être le complément de celle-là.

La justesse et la simplicité de ce raisonnement stupéfièrent l’alchimiste ; il resta coi devant Landry, les yeux écarquillés et la bouche béante.

— Il ne faut point s’étonner ; reprit celui-ci, qu’une saison tout entière, un long hiver, partage en deux l’existence de cette plante, et sépare, durant quatre ou cinq mois une fleur de son fruit.

« Cette bizarrerie ne se produit que par sagesse et prévoyance de Nature. Si la Veilleuse portait des feuillés en octobre, le froid les flétrirait ; si elle donnait un fruit, l’hiver ne le mûrirait point et le laisserait infertile ! Or, si la destinée de la fleur est de naître et de mourir en un matin, celle du fruit est de mûrir ses graines ! Voilà pourquoi la fleur seule des Veilleuses paraît en automne ; voilà pourquoi le fruit reste caché sous terre jusqu’aux prochains beaux jours. Sans doute la Veilleuse devrait-elle s’épanouir au mois de mai, comme les autres fleurs. Il faut regarder son éclosion aux approches de l’hiver comme une rassurante promesse, une avance que la bonne nature nous fait sur le printemps ! »

Il n’avait point fini de parler que le savant se redressait tout à coup et lui tendait les bras.

— Landry ! Landry ! tu dis vrai ! Je le sens au jour lumineux qui chasse tous mes doutes !... Et le vieillard criait si fort, dans son enthousiasme, que la belle Marguerite et sa gouvernante, et tous les valets de la seigneuriale demeure accoururent aussitôt.

À la vue de celui qu’elle aimait, la jeune fille ne put retenir une exclamation de surprise et de bonheur. Landry courut à elle, la reçut dans ses bras, et maître de Prévian, ne songeant déjà plus qu’à la gloire future, unit solennellement les amoureux.

Le mémoire écrit par l’alchimiste sur l’Hermodactyle, eut, en effet, à cette époque, dans le monde des curieux de la nature, un profond et mérité retentissement ; si bien que, plus tard, lorsque Tournefort et Linné tirèrent du chaos la science botanique, ils ne purent, l’un et l’autre, que donner la consécration de leur haut savoir à la remarquable découverte qui s’y trouvait exposée.

La Veilleuse et l’Hermodactyle représentant seulement les deux âges d’une même plante, furent décrites au Species plantarum sous la mention collective de Colchique d’automne, évoquant le lointain pays de Colchos, d’où les bulbes de l’Hermodactyle était primitivement expédiés à toutes les officines de l’Occident pour le grand soulagement des goutteux, des rhumatisants et des hydropiques. Mais dans nos campagnes où, toute rose. elle sort de terre aussitôt les derniers foins coupés, les paysans conservent à la Veilleuse sa dénomination si poétique ; et beaucoup d’entre eux, lorsqu’ils voient fleurir, dans les prés, ce pâle lilas d’automne,se racontent encore les légendaires amours de Marguerite et de Landry.