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Maurice Renard : L’homme qui tremblait

mardi 27 octobre 2020, par Denis Blaizot

Ce texte est paru dans Le Matin du 20 janvier 1934 1934 . C’est une histoire policière, à n’en point douter. Mais qui risque de décevoir plus d’un amateur du genre. Lié par le format de la rubrique, la fin est écourtée et laisse entendre que le détail de la résolution de l’affaire viendra en son temps. À voir.

Je vous propose cette version numérique à partir des numérisations proposées par la BNF sur Gallica.

Voici comment il me fut donné de Connaître M. Candidier et d’entendre le récit de ses terreurs.

J’étais alors secrétaire du commissaire divisionnaire Jérôme, et celui-ci m’avait chargé de veiller à l’une de ces petites affaires qui n’étaient nullement de mon ressort, mais que nous suivions par obligeance et courtoisie. Un M. Candidier, manufacturier à Pantin, s’était laissé voler son automobile avenue de l’Opéra, en plein jour. Ayant rencontré Jérôme quelquefois, à la faveur de banquets régionalistes, il était venu trouver le fonctionnaire pour lui faire part de sa mésaventure et le prier de bien vouloir la signaler lui-même aux services compétents. Je ne pense pas que notre intervention ait eu la moindre part dans l’heureuse issue des recherches (l’auto fut retrouvée vingt-quatre heures plus tard, abandonnée dans le quartier Picpus), mais M. Candidier nous dut certainement d’en être avisé sans délai. Jérôme se fit un plaisir de lui téléphoner l’agréable nouvelle.

Le jour même, M. Candidier se présenta quai des Orfèvres, pour le remercier. Nous étions à travailler, Jérôme et moi, quand le planton remit à mon chef la carte de l’industriel.

— Faites entrer, dit le commissaire.

J’allais me retirer. Il m’en empêcha.

— Restez, Gaillard. Ce n’est qu’une visite de politesse. J’en ai pour deux minutes.

Je souris, comprenant que ma présence engagerait le visiteur à ne point s’attarder. En quoi je me trompais.

M. Candidier était un assez gros homme grisonnant, au visage flasque, mal éclairé par deux yeux incolores dont le regard paraissait tantôt timide et tantôt fuyant, si bien que M. Candidier inspirait tantôt la pitié, tantôt la méfiance.

Il venait de recouvrer son véhicule au dépôt de la préfecture, et il commença par rendre mille grâces à Jérôme, qui, s’étant soulevé de son fauteuil, lui indiquait un siège en s’excusant de le recevoir au milieu de toutes ces paperasses.

— Un travail fou, mon cher monsieur Candidier. Je n’en suis pas moins heureux de vous serrer la main. Alors, vous voilà satisfait Votre voiture n’est pas trop endommagée ?

— Dieu. merci, monsieur le commissaire Dieu merci ! C’est une chance ! Et songez que je n’étais pas assuré contre le vol.

Mais, tout de suite, je m’aperçus que notre obligé n’attachait qu’une importance minime au fait qui l’amenait ici, débordant de gratitude. Tout en parlant d’autos et d’assurances, il ne pouvait cacher une singulière distraction. Je le sentais embarrassé dans ses discours, dans sa contenance. Je jetai un coup d’œil sur Jérôme, et je vis que ce psychologue attendait avec curiosité l’explication d’une telle attitude.

M. Candidier prolongeait gauchement l’entretien. Il lantiponnait [1]. Il usait de transitions saugrenues qui ne l’amenaient pas, semblait-il, où il voulait en venir. Et, soudain, comme un silence gênant menaçait de se prolonger, il renonça à tout artifice.

— Monsieur le commissaire, déclara-t-il en laissant voir un grand trouble, je me félicite — beaucoup plus que vous ne sauriez le croire — de l’aubaine qui me permet de causer avec vous. J’ai hésité, jusqu’à ce jour, à vous confier des... des appréhensions dont j’ai souffert cruellement jadis et qui commencent à me reprendre... qui me ressaisissent de plus en plus, à mesure que s’approche... une date. Oui, une date. Ah ! vous allez me mépriser...

— Parlez, je vous en prie, dit Jérôme, témoignant d’une profonde bienveillance.

L’émotion procurait à M. Candidier une tragique sévérité.

— Il y a seize ans, monsieur, la cour d’assises de la Seine prononçait un jugement qui me comblait d’une joie délirante. Ce jugement condamnait à dix ans de bagne un de mes anciens ouvriers, nommé Juglat, pour meurtre d’un de ses pareils, homme sans aveu.

 » Juglat, monsieur le commissaire, me terrorisait depuis deux ans. Je l’avais congédié. C’était un bandit. Le coquin m’a fait savoir qu’il m’avait condamné à mort ! Et pendant deux ans, oui, monsieur, j’ai vécu dans l’épouvante. Car il se jouait de moi, comme le chat de la souris. À tout instant, j’étais victime d’une atroce plaisanterie, d’une farce macabre qui me laissait, chaque fois, plus tremblant, plus hagard ! Je ne pose pas pour la bravoure. Je crois qu’il aurait fini par me tuer, rien qu’en m’infligeant ces terribles alertes ! Pas une, en effet, pas une où je n’aie cru laisser ma vie. Et, le lendemain, un billet crapuleux : « Hier, c’était pour rigoler. À la prochaine, tu n’y coupes pas. » Ou quelque chose d’approchant.

 » Alors, quand le jury a rendu son verdict, ah ! quelle délivrance ! Quelle résurrection !

— Évidemment, reconnut Jérôme. Mais, si ce verdict est vieux de seize ans, votre bourreau a fini sa peine depuis six ans : l’obligation de séjour le retient encore à Cayenne sous une étroite surveillance ; et dans quatre ans... il sera libre.

— Voilà ! gémit M. Candidier, la sueur au front et la lèvre tremblotante. Voilà ce qui commence à moi Martyriser ! Je compte les jours de cet odieux délai. J’y pense constamment... et, aujourd’hui, monsieur le commissaire, j’ai saisi l’occasion... je me suis décidé à vous dire tout cela pour avoir l’assurance réconfortante d’être protégé... quand il reviendra !

Jérôme fit un petit hochement de tête et lorgna M. Candidier d’un ai de compassion :

— Mais, voyons... nous avons le temps. Votre démarche est bien prématurée... « Prématurée », enfin si l’on veut ; car autrefois — il a seize ans et plus — pourquoi n’avez-vous pas averti la police des persécutions dont vous étiez l’objet ?

M. Candidier baissa les yeux. Ce que voyant, Jérôme le questionna :

— Que s’est-il donc passé, depuis seize ans, qui vous donne à présent le courage de parler ?

— Rien...

— Rien ? Rien que le temps, par conséquent. Le temps qui prescrit. Ai-je touché juste ?

Pas de réponse.

Le commissaire poursuivit :

— Ce Juglat, donc, si vous aviez porté plainte contre lui, vous aurait dénoncé, vous, pour une faute aujourd’hui prescrite ?

M. Candidier rougit violemment et resta muet.

— Bien, conclut Jérôme. Revenez me voir. On vous protégera. Revenez dès demain ; nous causerons. Maintenant, excusez-moi ma besogne me réclame.

L’autre se confondit en remerciements. Il tendait les deux mains. Jérôme ne lui livra qu’un doigt — et mollement.

×××

Nous comptions revoir au plus tôt l’homme qui tremblait. Cependant, la matinée du lendemain s’écoula sans qu’il revint.

Un peu avant midi, on nous téléphona pour le service. Jérôme, prit l’appareil. Il fronça les sourcils et blêmit, en répondant d’une voix brève : « J’y vais immédiatement ».

— Filons, mon petit Gaillard ! Sapristi ! Je ne me doutais guère.

— Mais qu’y a-t-il, chef ?

— On me fait dire de me rendre sur la route, entre Livry et Villeparisis, pour un accident d’auto. Et savez-vous qui en est la victime ? Candidier ! Il roulait à vive allure, parait-il, sur un mauvais pavé, quand sa direction s’est rompue. Il est mort. Et on croit que l’accident est dû à la malveillance. L’examen de la direction a révélé que la barre d’accouplement avait été limée tout récemment jusqu’aux trois quarts de son épaisseur... Ah ! je m’en veux d’avoir caché à ce pauvre misérable que Juglat s’est évadé ! J’ai reculé sottement devant l’effroi que je lui aurais causé ! Mais du diable si je pensais que Juglat fût à Paris six semaines après son évasion ! Et le directeur du pénitencier qui le croit au Brésil ! Allons ! Partons ! Il faut le pincer, à présent !

Et comment Jérôme réussit à capturer Juglat pour avoir relevé sur une barre de fer la trace de deux limes différentes et les vestiges d’une certaine huile, c’est ce que je vous raconterai une autre fois.

Maurice Renard Maurice Renard


[1Lantinponner ? Alors là celui-là... Je ne le connaissais pas. Une petite recherche et... Lantinponner : verbe intrans. Vx et pop. Perdre son temps, s’attarder en discours futiles ou inutiles ; tergiverser, faire des difficultés.(source : CNRTL)