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Maurice Renard : L’instrument du crime

mercredi 28 octobre 2020, par Denis Blaizot

Cette nouvelle est parue initialement dans Le Matin du 3 mars 1934 1934 . Cinquième par ordre chronologique de parution, c’est pour l’instant la meilleure que j’ai lue. Une véritable enquête policière. Mais toujours contraint par le format, Maurice Renard Maurice Renard ne peut pas développer de façon satisfaisante la dernière partie et est obligé de se contenter d’un simple : Je sais qui est le coupable et il sait que je sais. Un peu léger je trouve, mais c’est bien amené.

Ce matin-là, le commissaire Jérôme était distrait. À chaque instant, ses regards quittaient le dossier dont il feuilletait les pièces, et fixaient rêveusement le toit des maisons, là-bas, de l’autre côté de la Seine. À la Police judiciaire, nous vivions alors une période calme, dépourvue de tout intérêt.

Jérôme se décida soudain à me confier ses pensées.

– Mon petit Gaillard, me dit-il, une chose m’obsède. Ce n’est peut-être pas très raisonnable, mais je ne peux pas m’empêcher d’y retomber sans cesse. J’ai dîné hier chez des amis, en petit comité. À table, l’une de mes voisines était une dame Labresle, à qui je venais d’être présenté. Femme charmante, distinguée, jeune, en robe noire. Nous causâmes agréablement, avec beaucoup d’aisance. J’appris, de la sorte, que Mme Labresle. était la fille d’un de mes camarades de lycée, Victor Auverlet, mort (je l’ignorais aussi) depuis près d’un an.

 » Ce Victor Auverlet a été pour moi un grand ami, au temps de nos études ; et puis, comme cela se produit si fréquemment, hélas nous ne nous sommes jamais revus.

 » Je compris, aux dires de Mme Labresle, qu’il avait mené une existence très modeste, bien qu’il fût riche. Une grave maladie de cœur avait gâté ses dernières années. Mme Labresle me dit qu’il était mort subitement, dans son fauteuil, un soir de l’hiver passé, en écoutant la T.S.F. Je conclus banalement :

 » – Une mort bien douce.

 » – Ah ! monsieur, répliqua-telle. Mon pauvre père, depuis quatre ans, souffrait d’une longue agonie. Il ne se faisait aucune illusion sur son état. Il savait que la moindre, cause pouvait provoquer en lui un arrêt du cœur. Il devait éviter tout effort physique aussi bien Que toute émotion... Et pourtant, vous le voyez, il est mort dans son fauteuil.

 » – En écoutant la T.S.F.

 » Vous savez comme moi, mon petit Gaillard, ce qu’est l’habitude professionnelle. Nous autres policiers, nous considérons tout événement à travers les lunettes d’une observation méfiante et méticuleuse. Alors, saisissez-vous ? Je me représentais Victor Auverlet tranquillement installé auprès de son poste, – Victor Auverlet qui, logiquement, devait mourir d’un effort ou d’une émotion... Et je me demandais si, d’aventure...

 » Ah ! tenez, Gaillard, il faut tirer cela au clair, ne serait-ce que pour l’amour de l’art ! J’ai obtenu de Mme Labresle quelques précisions, sans avoir l’air d’y toucher. Son père est mort le 5 février, à 21 h 30 environ. Il habitait rue de Seine, 6 bis. Pendant la suprême audition radiophonique, sa vieille bonne vint, à plusieurs reprises, comme chaque soir, ranger des assiettes et des couverts dans un buffet ; c’est ainsi qu’elle trouva son maître basculé sur le bras du fauteuil, tandis que le poste de T.S.F. continuait de fonctionner. Je ne sais rien de plus. Il faudrait rattraper cette vieille bonne : ce sera facile. Allez donc, je vous prie, interviewer là-dessus la concierge de la rue de Seine. »

J’y allai sur-le-champ. Et je sus que l’ancienne servante de M. Auverlet s’était retirée à Villejuif, chez sa fille mariée.

Éponine Gorchon – ainsi se nommait-elle – nous reçut, Jérôme et moi, avec l’humble respect des serviteurs de jadis. Le commissaire se présenta comme ami d’enfance du défunt, pieusement curieux des détails de sa mort.

Cette femme n’ajouta rien à ce que nous savions concernant le décès. Elle ignorait sur quel poste émetteur M. Auverlet avait réglé son appareil. C’est elle qui avait coupé le courant. Elle ne se rappelait pas ce qui était diffusé lors de son arrivée dans la salle à manger (musique ? voix de speaker ou de conférencier ?) Faute de mieux, nous la fîmes parler de M. Auverlet. Elle nous énuméra toutes les précautions qu’elle prenait pour lui épargner fatigues, surprises, soucis, etc.

– Ainsi, dit-elle, quand M. Théodore venait voir Monsieur, je n’étais jamais « à mon sûr ». Je montais la garde derrière la porte.

– Qui est-ce donc ce M. Théodore ? s’enquit Jérôme.

– Mais c’est le fils de M. Auverlet, donc ! Comment ! vous ne savez pas ?

– J’avais complètement perdu de vue mon vieux camarade, s’excusa Jérôme. Je croyais que Mme Labresle était sa fille unique.

Éponine nous instruisit. Théodore Auverlet n’était autre qu’un boxeur, moyennement réputé sous le pseudonyme de Théo Féder. Monter sur le ring n’est pas une forfaiture, même quand cette carrière dynamique n’est pas conforme aux goûts du papa. Malheureusement. Théo donnait à M. Auverlet bien d’autres sujets de contrariété. Il faisait la fête et harcelait son père de demandes d’argent. Éponine gémissait :

– La veille de la mort de Monsieur, au soir, il était venu faire une scène, justement à l’heure ou Monsieur écoutait sa T.S.F. Le Théodore menaçait de se procurer des fonds par n’importe quel moyen. La frayeur m’a prise. Je suis entrée et, voyant M. Auverlet tout tremblant d’indignation, je ne me suis pas gênée pour rappeler à son fils les ménagements qu’exigeait la santé de Monsieur. « Vous pourriez le tuer, brute que vous êtres ! » que je lui ai dit. Alors, il est parti. Et M. Auverlet n’arrêtait pas de répéter :

« Tout ça finira mal, Éponine ! Pourvu, mon Dieu ! pourvu qu’il reste honnête ! J’ ai peur... j’ai peur qu’il ne vole, sais-tu bien ! »

– Et cela se passait le 4 février, nota Jérôme. Dites-moi. M. Théodore savait-il que son père utilisait la T.S.F. tous les soirs ?

– Certainement, monsieur M. Auverlet sortait rarement, et la T.S.F. jouait un grand rôle dans sa vie.

– Je vous remercie, dit le commissaire en prenant congé.

Le soir même. nous avions entre les mains tous les programmes radiophoniques français du 5 février, jour ou M. Théodore Auverlet avait hérité la moitié des biens paternels.

À première vue, rien, absolument rien ne retint notre attention. Une infinité d’hypothèses s’offraient, à nous.

Cependant, le lendemain, Jérôme, suivant son idée, demanda à trois postes émetteurs différents « communication des notes d’information qui avaient été radiodiffusées le 5 février en soirée, puis classées aux archives des stations ».

L’une de ces notes, provenant de l’agence Brissot, le fit sursauter. La voici :

« On est sur la piste du meurtrier de la comtesse Huon, assassinée la nuit dernière et dont le coffre-fort a été vidé. Ce serait un boxeur bien connu dans son milieu. »

– Un boxeur ! s’écria Jérôme. Quelle est cette fantaisie ? Il n’a jamais été question de boxeur en cette affaire !

Et il appela au téléphone l’agence Brissot.

Une heure plus tard, le directeur de l’agence nous rendait compte qu’il s’agissait là d’une étourderie inconcevable, dont il se souvenait parfaitement. L’employé fautif avait été réprimandé. Par distraction, il avait dactylographié « boxeur » au lieu de « bonneteur », mot qui figurait sur l’information originale.

Cet employé se nommait Scheltz. Il était mort, depuis, à l’hôpital, d’une broncho-pneumonie, pauvre diable, sans famille.

– Comment savoir ? dit Jérôme. Il faut attendre une occasion.

Et des jours, des jours passèrent, en effet.

Puis, avant-hier, mon chef, d’un air mystérieux, m’emmena chez lui et me fit pénétrer dans cet impressionnant cabinet où il a réuni les plus ordinaires comme les plus baroques « instruments du crime ». Et là, parmi les revolvers, poignards couteaux, casse-têtes, seringues, fioles, cordes, litres, pierres, serviettes et tout ce qu’on peut imaginer, il me montra un appareil radiophonique d’un modèle déjà périmé.

– Je l’ai acheté, pour quelques francs, à Mme Labresle, dit-il. En souvenir – soi-disant – de mon camarade de classe. Mais il est bien à sa place dans mon petit musée criminel... J’ai rencontré dernièrement Théodore Auverlet. Et Je lui ai demandé en souriant :

 » – N’avez-vous pas connu un certain Scheitz, employé à l’agence Brissot ?

 » Alors, comme il savait qui je suis, il s’est troublé, il est devenu tout pâle. J’ai lu, un instant, sur son front, le mot « parricide ». Mais déjà il s’était repris, il souriait à mon sourire et répondait :

 » – Mais oui, un peu, à peine. C’était un pauvre bougre.

 » Et nous avons parlé d’autre chose, parce que je ne pouvais rien faire de plus.

– Évidemment, dis-je, à mi-voix.

J’étais fasciné par ce diffuseur pacifique, encadré d’un fusil de chasse sinistre et d’une effroyable hache de bûcheron – ce diffuseur qui, comme eux pourtant, plus hideusement peut-être, avait assassiné.

Maurice Renard Maurice Renard .