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Maurice Renard : Le cambrioleur fantôme

mercredi 4 novembre 2020, par Denis Blaizot

Cette nouvelle, la dix-neuvième de la série, a été publiée dans Le Matin du 27 mars 1937 1937 .

Elle touche par sa narration, au fantastique, mais c’est une nouvelle policière. Et le commissaire, toujours plein de ressource et de bon sens, ne pourra que la ramener sur le terrain du pragmatisme. Fini le fantastique quand le mystère est résolu.

Mes inspecteurs l’avaient surnommé l’Anguille, dit le commissaire divisionnaire Jérôme. Certains l’appelaient aussi le Fantôme. Son nom était Stolff, vraisemblablement : je n’ai jamais pu m’en assurer, car nous ne l’avons jamais pris. C’était un cambrioleur d’une adresse incroyable. Chacun de ses coups témoignait d’une telle virtuosité que nous ne parvenions pas toujours à comprendre comment il avait procédé. Cela tenait parfois de la magie, et je me rendais bien compte que, parmi mes hommes, il s’en trouvait plus d’un pour penser, sans trop le dire, que Stolff n’était pas un être comme les autres et qu’il disposait de moyens mystérieux pour commettre ses vols et nous échapper. Je dis mystérieux, je ne dis pas surnaturels. La croyance sourde et inavouée qui flottait dans l’esprit de mes subordonnés était que le lascar n’avait pas son pareil pour utiliser les ressources de la science. Il avait dû faire des études très poussées ; peut-être même avait-il inventé lui-même des choses étonnantes, des procédés surprenants qui dépassaient l’application pure et simple de la science à l’art répréhensible de l’effraction et de la soustraction.

Une fois, une seule fois, je crus le saisir.

Je trouvai dans mon courrier une de ces lettres anonymes, laborieusement composées en caractères imprimés, découpés dans les journaux. Cette lettre était ainsi libellée :

Si vous promettez ne me demander aucune explication, j’irai, demain matin, 10 heures, vous fournir renseignements précieux. Faites connaître accord en marquant d’une croix, à la craie, le poste téléphonique police, avenue de l’Opéra.

Je donnai immédiatement des ordres pour que ce signal fût fait. Et, le lendemain, à l’heure dite, on introduisit dans mon cabinet un petit homme chafouin, vêtu comme un ouvrier. Ses yeux vifs fuyaient les miens. Il semblait inquiet. Je le rassurai sur-le-champ et l’invitai à parler sans crainte. Il me dit alors, d’une traite, en restant assis tout au bord de son fauteuil et une main fébrile posée sur mon bureau :

— Je viens pour la chose de de la croix marquée à la craie. C’est rapport à Stolff. Je peux vous dire où qu’il reste et comment que vous pourrez le poisser. Il sera sûrement chez lui aujourd’hui. À partir de 4 heures, vous pouvez y aller. Et jusqu’à la nuit. C’est rue Saint-Norbert, au 12. Troisième à gauche. N’y a qu’une porte. Autant dire que ce logement c’est une impasse ; même qu’à mon sens je n’y comprends rien tellement que c’est imprudent. Enfin, c’est comme c’est. Pas d’antichambre. La porte du palier ouvre directement dans la première pièce. En face, il y a la porte qui donne dans la seconde pièce, qui est donc le laboratoire. Et c’est tout. Vous n’aurez à vous méfier que d’une fenêtre par où Stolff pourrait peut-être se barrer c’est celle de la première pièce, mais elle donne sur la cour et puis, dites : trois étages ! Quant au laboratoire, la fenêtre est condamnée, bouchée, rapport aux expériences qui demandent l’obscurité. Je vous dis : un cul-de-sac. Voilà. Et maintenant, au plaisir, monsieur le commissaire !

Je l’avais laissé parler sans l’interrompre. Je le laissai partir sans rien lui demander. Quelle raison avait-il de trahir le voleur fantôme ? Évidemment, quelque histoire de femme ou quelque dispute à propos d’un partage.

La rue Saint-Norbert est plutôt une ruelle, dans le calme et silencieux quartier du Pré-aux-Clercs. Vers 5 heures, j’emmenai avec moi deux inspecteurs, et je me rendis à l’endroit indiqué.

C’était une vieille maison tranquille, de fort bonne apparence. L’un de mes compagnons fut chargé de surveiller la cour. L’autre monta, derrière moi, l’escalier. C’était un nommé Georges. Je le sentais légèrement nerveux. Pendant le trajet, il n’avait parlé que de Stolff et de l’étrange réputation de l’insaisissable cambrioleur. Certes, Georges avait pris soin de plaisanter constamment, de ne pas quitter le ton gouailleur et sceptique qui convenait en la circonstance ; mais enfin, c’était manifeste, le bon garçon ne jouissait pas de sa sérénité habituelle. Il avait certainement l’impression de courir, cette fois-ci, une aventure insolite. L’adversaire que nous nous promettions d’arrêter lui semblait, à coup sûr, un personnage exceptionnel. Et il avait eu beau ricaner en supputant tous les tours qu’un fantôme est capable de jouer à des policiers, son malaise confus ne m’avait pas échappé. Il était pourtant brave au superlatif ; mais il y a des natures qui ne résistent pas à l’influence du mystère. Et moi-même, pour tout dire, étais-je donc tout à fait comme d’habitude ? Non ; mais je pensais beaucoup plus à Stolff l’Anguille qu’à Stolff le Fantôme.

Au troisième étage, la porte de gauche, à un seul battant, était munie de sa clef. Je n’hésitai pas un instant et je tournai cette clef.

La porte s’ouvrit de bonne grâce. J’entrai, Georges étant sur mes talons. Il faisait encore grand jour.

Une pièce, de dimension moyennes, m’apparut, avec un lit, une table ronde, des meubles modestes, le tout propre et soigné.

Personne. J’appelai à voix haute, assez gentiment :

— Monsieur Stolff !

À ce moment, je ne doutais pas que Stolff ne se trouvât dans la pièce du fond, celle qui m’avait été désignée sous le nom de laboratoire et dont la porte se trouvait en face de moi, comme l’indicateur me l’avait annoncé.

Cette porte était entr’ouverte. Je la voyais bâiller de l’autre côté du seuil, car elle pivotait dans le laboratoire. Et, par la fente étroite, je ne distinguais que l’obscurité la plus épaisse. Tenant à la main mon revolver et ne quittant pas des yeux cette fente ténébreuse, j’avançai et je répétai :

— Monsieur Stolff !

Alors la porte se ferma paisiblement, comme en réponse à mon appel.

Je m’arrêtai. L’espace de trois secondes, je délibérai, sans trop savoir pourquoi cette porte fermée m’avait fait faire halte.

— Votre lampe demandai-je à Georges. Éclairez-moi. Il s’avança à ma hauteur, levant sa lampe électrique de telle sorte qu’elle éclairât le laboratoire dès que la porte s’ouvrirait.

Je tournai le bouton de cuivre et je poussai brusquement le vantail que rien ne maintenait, ni verrou ni force humaine.

La lumière de la lampe nous fit voir une table et des rayons chargés d’appareils de toute sorte. C’était bien un laboratoire qui s’offrait à nos regards.

— Attention ! murmura Georges.

— Stolff, sortez ! commandai-je. Vous êtes pris. Vous n’avez aucune chance de fuir. Les issues sont gardées. Allons ! Sortez ! Nous vous tiendrons compte de votre docilité.

Rien ne me répondit.

L’instant était de ceux dont on se souvient, de ceux où il faut donner de sa personne, advienne que pourra.

Je pénétrai dans ce réduit qui ressemblait à l’antre d’un alchimiste. Georges, rapidement, promenait le faisceau de sa lampe en tous sens, dans tous les coins, sous les tables, derrière les amoncellements de machines et de récipients.

Solitude. Silence. Pas plus de Stolff que sur ma main.

Georges ne cessait d’exécuter de brusques volte-face comme s’il avait redouté d’être assailli par derrière.

J’avoue que, pour ma part, j’étais l’objet d’une extraordinaire perplexité.

Quelqu’un avait, sous mes yeux, fermé une porte, et pourtant Il n’y avait personne derrière cette porte, dans une chambre hermétiquement close.

La fenêtre, en effet — je m’en assurai — était recouverte de matelassures clouées à un châssis qui se trouvait lui-même vissé à la croisée. Tout cela revêtu de poussière et de toiles d’araignée.

— Chef, qu’est-ce que vous dites de ça ? Est-il là, tout de même ?

Ma foi ! J’étais sur le point de me le demander.

J’examinai la porte, pour vérifier si par hasard un dispositif automatique n’y était pas adapté. Vaine recherche. Cet huis était l’huis le plus naturel du monde.

Alors qu’est-ce qui ne l’était pas naturel ?

Nous repassâmes dans la première pièce.

— Je ne pense pas dis-je, que Stolff fût caché dans cette chambre et qu’il ait pu filer par l’escalier pendant que nous fouillions son laboratoire ? Quand avez-vous fermé la porte du palier, Georges ?

— Tout de suite, chef, pendant que vous avanciez vers le laboratoire. Je craignais d’ailleurs, qu’à notre entrée, Stolff ne se soit caché entre le mur et la porte rabattue. Alors, j’ai fait vite, je vous en réponds ! Et j’ai fermé à clef, puis j’ai mis la clef dans ma poche.

— Vous avez « fait vite » dis-je, pris d’une idée. Dans ce cas, j’entrevois une solution. Voyons, reconstituons, mon cher, reconstituons !

Je rouvris en grand la porte palière ; je replaçai, presque close, celle du laboratoire. Puis je refermai très rapidement la première. Et j’eus la satisfaction de voir que, par l’effet de l’aspiration d’air ainsi provoquée, la porte du laboratoire se ferma toute seule, exactement comme elle s’était fermée tout à l’heure.

Il n’y avait plus rien de fantastique. Nous en aurions bien ri en d’autres temps ; mais Stolff, plus malin que nous, n’avait pas attendu notre visite, et nous en demeurions trop déçus pour rire de quoi que ce fût, même d’une illusion aussi simple et cependant aussi parfaite.

Maurice Renard Maurice Renard