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Charles-Henry Hirsch : Un message de Mars

dimanche 6 décembre 2020, par Denis Blaizot

Cette nouvelle a été publiée dans l’Excelsior du 12 mars 1920 1920 .
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Illustre par ses découvertes, Alcide Cauret avait subitement fui le monde qu’il aimait pour ses adulations. On le disait fou, après avoir prétendu qu’une jeune femme était l’ornement de sa vie secrète. Il n’avait pas gardé un seul de ses disciples. Il ne correspondait avec personne. Son domestique évinçait les visiteurs. Le maître s’était reclus dans sa station de télégraphie sans fil. Il se jouait des distances, modifiant le mât, les antennes, le cerveau comme à quarante ans, rajeuni de corps par le délire créateur de son génie. Il y avait toujours à sa portée une corbeille d’oranges. Il mordait aux fruits, ainsi que dans une pomme, contre la soif. Les crépitantes étincelles l’environnaient, nouveau Moïse au creux du buisson ardent pour recevoir la Loi du Très-Haut.

Et lui, il se tenait au bord du mystère, dirigeant des ondes d’une puissance inconnue, appelant, appelant vers l’infini, ivre d enthousiaste espoir ou désespéré, d’une seconde à la suivante, appelant il ne savait qui, plus loin que les profondeurs de l’espace, au-delà de la sphère d’attraction terrestre, mais en deçà du champ illimité de sa foi dans la physique.

Chaque jour, par l’expérience, il poussait plus outre les investigations hasardeuses de son appareil renforcé. Il dépassait de beaucoup les masses de l’air analysable, la Lune morte. Il adressait le message impatient vers la ténèbre ou la clarté, où le temps n’existe peut-être pas ni rien de ce dont un homme peut concevoir une idée.

Une allégresse l’exaltait, celle du coureur au but le premier. Il pressentait la réussite à l’accélération et la qualité de sa fièvre. Il enfantait l’avenir, l’énorme convoi des surprises qui se modifient en route ; et il goûtait le capital orgueil d’où vingt millions d’hommes en guerre ne figureraient même pas le mouvement silencieux d’une fourmilière en ordre.

Il fouillait obstinément l’éther, à la rencontre d’une vie qui tînt à la vie de l’intelligence humaine ; et il flairait la possibilité du but. C’était, à ses soixante-quatorze ans, dont trente-quatre rayonnaient de gloire, la révélation d’une sublime jouissance auprès de quoi nul bonheur n’a existé, un élan inouï de l’âme, « un incomparable essor de son être, une effloraison de lumières, de nuances, de musiques, de senteurs et de suavités.

Enfin, la réponse le toucha. Le message disait S. Le miracle était l’arrivée. Alcide Cauret balbutiait et pleurait de joie : un enfant, un véritable petit enfant, parce que son frappement au portail des abîmes avait amorcé un entretien.

Il songea à son collègue Naulin, mort depuis trente mois en pleine connaissance, lui tenant la main, lui parlant de ce code simple qu’ils avaient établi pour correspondre, si quelque chose de nous subsiste après l’immobilité et le refroidissement du cadavre.

S, cela signifiait : je vis. Il appela, au paroxysme de l’anxiété, agissant sur la manette, d’un geste sage qui ne devait permettre aucun hasard. Il recueillit la réponse : N. Elle identifiait le correspondant : Naulin. L’initiale confirmée trois fois, selon les conventions, annonçait la divulgation du lieu : la lettre M fut transmise, de Mars, au professeur Alcide Cauret, sans que nul en pût témoigner, fors lui-même.

On l’aurait dit qui participait de la vitesse des ondes. Sa pensée la devançait, mobile à travers la durée aussi, puisque Naulin existait ; et elle venait d’asseoir sur une culée positive le premier pont lancé de notre globe à une planète.

Il arracha, d’un coup de dents, le tiers d’une grosse orange, attendant de connaître si, là-bas, on était heureux. Trois fois, il réitéra la question ; trois fois Mars envoya : X. Le sens était : demande incompréhensible. Le même X nia, aussitôt après, l’humaine notion de Dieu.

Cauret se flatta de n’avoir interrogé là-dessus que pour la forme. S’il y a survie spirituelle, il savait que ce doit être en prolongement de phénomènes concrets.

Cependant, le planétaire précipita ses émissions. Le physicien enregistrait avec la sérénité d’un télégraphiste sur un paquebot neuf par une mer d’huile. Lorsque, à son tour, il appela, il n’obtint aucun réflexe de son correspondant. Inquiet d’abord, il fut rassuré ; la lettre R suivie du chiffre 7 terminait la longue dépêche. D’après le code Naulin-Cauret. R7 exprimait une terminaison volontaire de l’échange et sa reprise, par le poste terrien, dans les conditions analogues à celles qui venaient de réussir.

Traduit en clair, le message demeurait obscur au prime examen. Alcide Cauret, d’ailleurs, avait fait une énorme dépense nerveuse. Il éprouvait une lassitude dont il ne se rappelait avoir jamais ressenti l’égale. L’ivresse était passée, du résultat obtenu et de ses conséquences incalculables. Le savant dîna, de la même humeur environ que chaque jour, à peine moins curieux d’écouter son domestique lui faire un abrégé oral des journaux pendant le repas. Il souriait néanmoins, malgré lui, à cause de la colonie dont il avait frayé la voie aux convoitises mesquines des peuples. Il disposait d’un pouvoir supérieur à toutes les puissances, par la faculté de publier ou de taire sa découverte. Ce sentiment le ramena auprès de son appareil. Il relut à tête reposée l’adresse de son défunt collègue :

Légèreté, lucidité, absence du désir. On est de la lumière qui attend. Je demeure moi-même comme tous ceux qui habitent Mars. Par ta volonté d’appeleur, tu peux nous attirer sur Terre. Que l’un y retourne, tous le suivront pour y être ce qu’ils y furent et dans le siècle actuel. Il y a, par exemple : Caton, Virgile, Ambroise Paré, Gutenberg, Montaigne, Bayard, Shakespeare, Corneille, Cromwell, Denis Papin, Lavoisier, Napoléon, Gœthe, Hugo, Musset, Renan, Berthelot, Confucius, Dante, le Vinci, Cervantes, Henri Poincaré, Tacite, Sophocle, etc. Chacun de nous, adapté au progrès, recommencerait son rôle parmi les hommes.

Un seul nom émergeait, à l’esprit de Cauret : Napoléon.

Cela effaçait la tendresse et l’admiration inspirées par le souvenir des autres. Les crimes de l’insatiable ambitieux passaient, à la juste conscience du savant, les dons des poètes, des inventeurs, des philosophes. S’ils accroissaient la somme d’idéal, de bien-être, de vérité commune aux races universelles, lui, il ramènerait les mensonges, les barbaries, la famine, l’assassinat par troupeaux, les dégradantes servitudes qu’entraîne la guerre. Les plus pures clartés humaines, les plus hautes, les plus capables de répandre le bienfait moral et matériel, les vapeurs de sang et d’incendie les étouffaient, pour l’être qu’une découverte sublime faisait un juge absolu. Jusque vers l’aube, il médita, instruisant l’éternel procès de la guerre.

Après les heures d’un sommeil vide, il en affronta le dilemme à résoudre. Rendre à l’humanité tous ces arbres qui pousseraient de nouveaux surgeons, une forêt d’essences saines et robustes et, parmi elles, le monstre carnivore, le mauvais enchantement de son feuillage, le poison de ses fruits, la fouille profonde de ses racines acharnées, sa fallacieuse écorce aux couleurs héroïques. Ou bien, couper le pont lancé qui commencerait la liaison des mondes.

La mémoire de Naulin suspendit un temps le verdict d’Alcide Cauret. Celui-là, il en avait été le frère et le compagnon de travail. Allait-il le rejeter dans la stérile mort, quand il pouvait au milieu d’une élite, l’accueillir en sauveur ?

La tentation d’une gloire inouïe éprouva ensuite le grand honnête homme. Le dégoût amer lui représenta l’abjection de l’intérêt, mobile constant de la violence. Il interrogea mentalement son ami, et Hugo, et Goethe, et Shakespeare, l’universel Léonard, Cervantès au cœur si miséricordieux, et les autres ! La consultation obtint de Montaigne lui-même un aveu de certitude.

Alors, parfaitement souverain de soi, Cauret monta détruire les perfectionnements de son poste, les preuves du résultat acquis et la source de sa supérieure allégresse. Cela fait, il envia de traverser le couloir inéluctable d’où il sortirait léger, d’esprit clair, ignorant le désir, changé en « une lumière qui attend ».

Charles-Henry Hirsch

Mon avis : Voilà une excellent nouvelle à ranger dans la catégorie fantastique parce qu’il y est question de vie après la mort. Mais elle aurait aussi sa place en SF, puisque le héros communique avec une personne décédée dont l’âme est réfugiée sur Mars grâce à une machine type T.S.F. Alors... à vous de voir. Mais lisez-la. Elle le mérite.