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Rider Haggard : She 2

dimanche 13 décembre 2020, par Denis Blaizot


épisode précédent

Ce texte a été publié le 16 février 1920 1920 dans l’Excelsior. Et vous pouvez le retrouver aujourd’hui sur Gallica.
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SHE (ELLE) 2

Roman de M. RIDER HAGGARD

II (Suite)

Je trouvai ensuite un parchemin, soigneusement roulé ; je le dépliai et, voyant qu’il était aussi écrit de la main de Vincey, et intitulé . « Traduction de l’inscription grecque onciale tracée sur le tesson de poterie », je le déposai à côté de la lettre. Puis vint un autre rouleau de vieux parchemin, qu’une longue suite d’années avait jauni et ridé ; je le dépliai également. C’était apparemment une traduction latine du même texte grec qui, par le style et le caractère, me parut dater du commencement du seizième siècle. Au-dessous de ce rouleau, se trouvait quelque chose de dur et de lourd, enveloppé dans de la toile jaune et reposant sur une autre couche de substance fibreuse. Nous dépliâmes la toile avec soin, mettant au jour un vieux tesson de poterie de couleur jaune sale. Le tesson devait sans doute avoir fait partie d’une amphore ordinaire de taille moyenne. Il mesurait dix pouces et demi de long sur sept de large, et était recouvert, en dehors, de caractères grecs onciaux effacés çà et là, mais parfaitement lisibles pour la plupart, l’inscription ayant été tracée avec grand soin, et au moyen d’une plume de roseau, telle qu’en employaient les anciens. Je ne dois pas oublier de mentionner qu’à une époque reculée ce fragment avait été brisé en deux morceaux, qu’on avait rejoints au moyen de ciment et de huit longs rivets. Il y avait aussi de nombreuses inscriptions à l’intérieur, mais elles avaient été tracées au hasard, par différentes personnes et à différentes époques.

— Y a-t-il encore quelque chose ? me demanda tout bas Léo.

Je cherchai avec émotion, et découvris un objet dur, emballé dans un petit sac de toile. Du sac nous retirâmes d’abord une charmante miniature, faite sur ivoire, et, en second lieu, un petit scarabée couleur chocolat ; et marqué de trois hiéroglyphes, dont le sens était : « Le fils royal de Râ ou du Soleil. » La miniature représentait la mère de Léo, une délicieuse créature aux yeux noirs. Derrière ce portrait était écrit, de la main du pauvre Vincey : « Ma femme bien-aimée. »

— C’est tout, dis-je.

— Fort bien, répondit Léo, en déposant sur la table la miniature qu’il venait de contempler avec tendresse. Maintenant, lisons la lettre.

Il rompit le cachet et lut tout haut : « Mon fils Léo, quand vous lirez cette lettre, vous aurez atteint l’âge mûr, et il y aura assez longtemps que je serai mort pour être à peu près oublié de tous ceux qui m’ont connu. Rappelez-vous pourtant en la lisant que j’ai vécu, et que je vis peut-être encore, et qu’au moyen de cette plume et de ce papier je vous tends la main par-dessus le gouffre du trépas ! Quoique je sois mort, et que vous n’ayez goûté aucun souvenir de moi, je suis avec vous au moment même où vous me lisez ! Depuis votre enfance, jusqu’à ce jour, j’ai à peine vu votre visage. Pardonnez-moi ! Votre naissance a coûté la vie à une personne que j’aimais avec passion, et je ne puis m’en consoler ! Si j’avais vécu, j’aurais oublié avec le temps ; mais je ne suis pas destiné à vivre. Mes souffrances, physiques et morales, sont intolérables, et j’ai l’intention, d’y mettre bientôt un terme. Que Dieu me pardonne si j’agis mal ! Je ne pourrais vivre tout au plus qu’une année encore. »

— Ainsi, il s’est suicidé, m’écriai-je. C’est bien ce que je pensais.

Léo continua sa lecture sans répondre :

« Et maintenant, ne parlons plus de moi. Ce que j’ai à vous dire vous concerne, vous qui êtes vivant, et non moi qui suis mort et parfaitement oublié. Mon ami Holly (à qui j’ai l’intention de vous confier, si toutefois il accepte cette mission) vous aura parlé de l’extraordinaire antiquité de notre race. Le contenu de cette cassette vous en fournira la preuve. L’étrange légende que notre ancêtre éloigné a retrouvée sur le tesson de poterie me fut communiquée par mon père à son lit de mort. et à l’âge de dix-neuf ans je résolus d’aller en vérifier l’authenticité. Je ne puis raconter à présent tout ce qui arriva. Mais voici ce que mes yeux ont vu. Sur la côte d’Afrique, dans une région inexplorée, un peu au nord de l’embouchure du Zambèze, il y a un cap, à l’extrémité duquel se dresse un pic, découpé en forme de tête de nègre et tout à fait semblable à celui dont parle l’inscription. Abordant en cet endroit, un indigène m’apprit qu’à l’intérieur du continent il y a de grandes montagnes, et des grottes entourées d’immenses marais. Les habitants parlent un dialecte arabe et sont gouvernés par une femme blanche d’une grande beauté, qu’ils voient rarement, mais qui, dit-on, exerce son pouvoir sur toutes choses, vivantes et mortes.

 » Je me mis en route pour l’intérieur.

 » Mais deux jours après, le manque de provisions ainsi que les premiers symptômes d’une grave maladie me forcèrent à regagner mon navire.

 » Quant aux aventures qui m’arrivèrent ensuite, il est inutile d’en parler. Je fis naufrage sur la côte de Madagascar, et fus recueilli quelques mois après par un navire anglais qui m’amena à Aden, d’où je partis pour l’Angleterre avec l’intention de poursuivre mes recherches dès qu’il serait possible. Cependant, je m’arrêtai en Grèce où j’épousai votre mère, c’est là qu’elle est morte, en vous mettant au monde. Peu de temps après, atteint de ma dernière maladie, je revins ici pour mourir... Toutefois, espérant encore contre toute espérance, je me mis à apprendre l’arabe, avec l’intention de retourner à la côte d’Afrique, et d’éclaircir le mystère dont la tradition s’est perpétuée dans notre famille. Mais je ne me suis point rétabli et, en ce qui me concerne, l’histoire est finie...

 » Il n’en est pas de même pour vous, mon fils, et quand vous aurez atteint l’âge mûr, — mais seulement à ce moment-là, — on remettra entre vos maints les résultats de mes labeurs. Vous serez alors à même dedécider si vous voulez poursuivre mes recherches ; peut-être regarderez-vous toute cette histoire comme une simple fable, inventée par le cerveau maladif d’une pauvre femme...

 » Ce n’est pas une fable ; je crois qu’il y a un endroit où les forces vitales du monde existent visiblement. Mais je ne veux nullement vous influencer, lisez et jugez par vous-même.... si vous êtes persuadé que tout cela n’est qu’une chimère, détruisez le tesson de poterie et les documents, pour épargner, à notre race une cause de trouble et de souci. Ce sera peut-être le parti le plus sage. L’inconnu est une chose terrible, et celui qui veut jouer avec les forces secrètes de l’univers devient souvent la victime de la folie. Et, à supposer que le but soit atteint, et que vous acquériez une beauté et une jeunesse éternelle, en serez-vous réellement plus heureux ? Choisissez, mon fils. et que le Dieu qui gouverne toutes choses vous guide dans votre choix ! Adieu. »

La lettre qui n’était ni datée, ni signée, finissait là, brusquement :

— Qu’allez-vous faire de ceci, oncle Holly ? dit Léo en replaçant la lettre sur la table.

— Ce que je vais en faire ? Mais, il n’y a pas de doute que votre pauvre père ne fût fou... Vous voyez qu’il s’est évidemment suicide....

— Bien sûr, monsieur, ajouta Job, qui voyait toujours le côté positif des choses.

— Examinons tout de même ce que le tesson de poterie a à nous dire, fit observer Léo ; et, prenant la traduction écrite par son frère, il lut ce qui suit :

« Moi, Amenartas, de la famille royale d’Egypte, femme de Kallikrates, prêtre d’Isis. à mon fils Fisisthenes (le puissant vengeur). Sous le règne de Nectanebes, je me suis enfuie d’Egypte avec ton père qui, par amour pour moi, avait rompu ses vœux. Nous étant enfuis vers le Sud, à travers les mers, nous errâmes pendant douze lunes sur la côte orientale d’Afrique, à l’endroit où se dresse un rocher ayant la forme d’une tête d’Éthiopien. Après avoir navigué pendant quatre jours sur une vaste rivière, nous fûmes recueillis par des sauvages qui nous portèrent, dix jours durant, à travers des déserts et des marais, en nous atteignîmes enfin une montagne, où se trouvent les ruines d’une grande cité et des grottes dont personne n’a jamais vu la fin ; les indigènes nous conduisirent vers la reine d’un peuple qui place des pots enflammés sur la tête des étrangers ; cette reine est une magicienne ayant la connaissance de toutes choses, et sa vie et ses charmes sont éternels. Elle jeta un regard d’amour sur ton père, Kallikrates, et aurait voulu me tuer et le prendre pour époux, mais il m’aimait et la craignait, et il refusa. Alors elle nous conduisit, au moyen de son infernale magie, à la fosse où le vieux philosophe est étendu mort, et nous montra la Colonne de Feu qui ne meurt point, dont la voix est comme la voix du tonnerre ; elle se plongea alors dans les flammes, et en sortit sans blessure, et plus belle que jamais. Puis, elle jura de rendre ton père immortel s’il voulait me tuer et se donner à elle, car elle ne pouvait me tuer, à cause de ma propre magie. Et il mit sa main devant ses yeux, et refusa même de la regarder. — Alors, dans sa rage, elle lança un sortilège contre lui, et il mourut ; mais elle le pleura et le porta chez elle avec force lamentation. Craignant ma vengeance, elle m’envoya à l’embouchure de la grand rivière ; emportée au loin sur le navire où je te donnai le jour, j’arrivai enfin à Athènes après mille péripéties. Fisisthenes, mon fils, va retrouver cette femme, apprends le Secret de la Vie, et, si tu en trouves le moyen, tue-la pour venger ton père Kallikrates ; et, si tu recules ou que tu échoues, je répète ceci à tous ceux de ta race qui viendront après toi, jusqu’à ce qu’il trouve enfin parmi eux un vaillant homme qui se baignera dans les flammes, et s’assiéra sur le trône des Pharaons. Je jure que je dis la vérité ! »

— Que Dieu lui pardonne ! dit Job qui avait écouté bouche-bée cet étrange document. Quant à moi, je ne dis rien, ma première idée était que mon pauvre ami avait composé le tout dans un accès de folie ; et, pourtant, il semblait difficile d’inventer une histoire aussi originale. Je pris le tesson de poterie et me mis à lire les caractères grecs onciaux qui y étaient tracés : ce texte correspondant de tous points à la traduction anglaise de Vincey.

Examinant ensuite le tesson de poterie sous toutes ses formes, j’y lus une quantité d’inscriptions datant les unes de l’époque romaine, les autres du moyen âge ; elles étaient signées du nom de Vindex ou Vincey, et attestaient que le précieux fragment s’était transmis dans la famille de père en fils, de génération en génération.

— Eh bien, dis-je à Léo, mon opinion est faite.

— Quelle est-elle ?

— Voici. Je crois que le tesson de poterie est parfaitement authentique et qu’il s’est conservé dans votre famille depuis le quatrième siècle avant J.-C. ; les inscriptions le prouvent d’une manière irréfutable. Je ne doute pas que la princesse égyptienne, ou un scribe à ses ordres, n’ait écrit ce que nous voyons sur le tesson de poterie ; en même temps, je suis sûr que ses souffrances et la perte de son mari lui avaient tourné la tête et qu’elle était folle quand elle a écrit cela.

— Comment expliquerez-vous alors ce que mon père a vu et appris ? me demanda Léo.

— Pure coïncidence. Il y a sans doute sur la côte d’Afrique plusieurs caps ayant l’apparence d’une tête humaine et aussi mainte nation qui parle un patois arabe. Je crois aussi qu’il ne manque pas de marais. Et puis, Léo, Je suis fâché de vous le dire, mais votre pauvre père n’était pas dans son bon sens quand il a écrit cette lettre. Il avait éprouvé de grands chagrins, cette histoire s’était emparée de son esprit, le tout ne vaut pas la peine qu’on s’y arrête. Il y a certainement, dans la nature, des forces cachées que nous ne pouvons comprendre ; mais, à moins de l’avoir vu de mes propres yeux, je ne croirai jamais qu’il y ait un moyen d’éviter la mort, même pour un temps, ou qu’il existe une sorcière blanche vivant au cœur des marais d’Afrique. C’est de la farce, mon cher. Qu’en dites-vous, Job ?

— Je dis, monsieur, que c’est un mensonge et que si, par hasard, c’est vrai, j’espère bien que M. Léo n’ira pas se mêler de choses pareilles, car il n’en peut sortir rien de bon.

— Peut-être avez-vous tous deux raison, dit Léo avec calme. Je n’exprime pas d’opinion. Mais je suis décidé à en avoir le cœur net et, si vous refusez de m’accompagner, j’irai tout seul.

Regardant le jeune homme, je vis bien que rien ne pourrait le faire changer d’avis. Mais Je n’aurais jamais consenti à le laisser partir sans moi. Sans affections, ni liens ici-bas, m’étant tenu volontairement à l’écart du monde, j’ai reporté toute ma tendresse sur mon cher Léo, qui est pour moi un frère, un enfant et un ami. Toutefois, il était inutile de lui laisser voir l’empire qu’il avait pris sur moi ; je cherchai donc un moyen de m’imposer à lui sans en avoir l’air.

— Oui, j’irai, mon oncle ; et, si je ne trouve pas la « Colonne de Vie », je tirerai du moins quelques bons coups de fusil.

Je saisis la balle au bond :

— Des coups de fusil ? dis-je. Tiens ! je n’y avais jamais pensé. Ce doit être un pays sauvage, riche en gros gibier. Mon désir a toujours été de tuer un buffle avant de mourir. Sans croire à l’histoire en question, je crois assez au gros gibier oour, si vous partez, prendre un congé et vous accompagner.

— Mais l’argent ? Nous aurons besoin d’une forte somme.

— Soyez sans inquiétude. Votre revenu s’est accumulé pendant des années, et nous ne manquerons de rien.

— Eh bien ! mettons ces documents à l’abri et allons à Londres acheter nos fusils. À propos, Job, venez-vous aussi ? Il est temps que vous commenciez à voir le monde.

— Oh ! monsieur, répondit Job, je me soucie peu des pays étrangers, mais, si vous partez tous deux, vous aurez besoin de quelqu’un pour vous aider, et je ne suis pas homme à vous abandonner après vingt ans de service.

— Fort bien, Job, lui dis-je. Et maintenant, écoutez-moi. Il ne faut pas dire un traître mot de cette « bêtise », et je désignai le tesson de poterie. Si cela s’ébruitait et qu’il m’arrivât malheur, mes proches attaqueraient mon testament pour cause de folie et je deviendrais la risée de tout Cambridge !

Trois mois plus tard, nous naviguions sur l’Océan, en route pour Zanzibar.

III

Nous voici loin de notre patrie ; adieu, les allées plantées d’ormes, adieu nos chambrettes d’étudiant, adieu notre chère bibliothèque. La mer nous entoure de toutes parts ; une jolie brise gonfle notre voile et la Lune verse sur les flots sa lumière argentée. La plupart des matelots sont endormis, il est près de minuit ; seul, Mahomet, notre pilote arabe, se tient à la barre, gouvernant avec nonchalance. À tribord, une ligne basse se dessine vaguement : c’est la côte orientale d’Afrique. Nous naviguons vers le sud, entre la terre ferme et les récifs qui bordent cette côte périlleuse pendant des centaines de milles. La nuit est paisible, si paisible qu’on entend le moindre murmure, si paisible qu’un sourd grondement nous arrive de la terre lointaine...

Le timonier arabe lève la main et ne dit qu’un mot : « Simba » (lion). Nous écoutons attentivement et nous entendons le même grondement, qui nous émeut jusqu’au fond de notre être.

— Demain, vers 10 heures, dis-je, nous devrions, si le capitaine ne se trompe pas, découvrir cette fameuse tête de nègre et commencer notre chasse.

— Et rechercher aussi la cité ruinée et la « Colonne de Vie », ajouta Léo en souriant.

— Quelle bêtise ! Cet après-midi, vous avez causé en arabe avec notre timonier : eh bien ! lui qui connaît à fond tous ses parages, a-t-il entendu parler de la cité en ruines ou des grottes ?

— Non, répliqua Léo. Il dit que toute la contrée n’est qu’un vaste marécage rempli de serpents et de gibiers et que personne n’y habite.

— Vous voyez quelle opinion ces gens ont du pays. Aucun d’eux ne voudra nous accompagner. Ils nous croient fous, et ma foi, ils ont peut-être raison. Je crains bien que nous ne revoyions jamais notre chère Angleterre !

— C’est égal, oncle Horace, il faut tout de même tenter la chance... Tiens ! qu’est-ce donc que ce nuage ?

Et il montrait une tache noire sur le ciel étoile, à quelques milles derrière nous.

À suivre

RIDER HAGGARD.

(Traduit de l’anglais par M. Georges Labauchère.)