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Rider Haggard : She 3

dimanche 13 décembre 2020, par Denis Blaizot


épisode précédent

Ce texte a été publié le 17 février 1920 1920 dans l’Excelsior. Ert vous pouvez le retrouver aujourd’hui sur Gallica.
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SHE (ELLE) 3

Roman de M. RIDER HAGGARD

III (Suite)

Il me quitta et revint au bout d’un instant :

— Le timonier dit que c’est un ouragan, mais qu’il passera à côté de nous sans nous toucher.

Rassurés par cette réponse, nous restâmes, Léo et moi, à causer paisiblement sur le pont du navire, admirant la beauté de cette nuit d Afrique, et bientôt une sorte de torpeur s’empara de nous. Quant à Job, il s’était installé dans une barque qui pendait aux flancs du navire et où nous avions entassé toutes nos provisions, le capitaine nous ayant dit que les brisants l’empêcheraient d’atterrir.

Il y avait quelques moments que nous sommeillions, quand nous fûmes réveillés par un coup de vent terrible, accompagné d’une trombe d’eau qui nous fouettait le visage. L’équipage, frappé de terreur, essaya, mais inutilement, de carguer les voiles. Le ciel était couvert de sombres nuages ; toutefois, la Lune brillait encore, et je pus distinguer une vague énorme, haute de vingt pieds environ, qui se précipitait sur nous. Peu d’instants après, un flot d’écume inonda le pont du navire, il me sembla que j’étais sous l’eau durant plusieurs minutes — ce n’était en réalité que quelques secondes. La vague passés, il y eut un moment de calme relatif. Job me criait : « Sautez dans le bateau ! » Je me précipitai à l’arrière du navire et le sentis s’enfoncer sous moi ; voyant Mahomet s’élancer dans la barque, je me décidai à le suivre, et, secondé par Job, je tombai comme une masse au fond du petit bateau. Cinq minutes après, le navire coulait à pic, tandis que Mahomet coupait avec son couteau la corde qui nous attachait à lui...

— Grands dieux ; où est Léo ? m’écriai-je, et soudain je vis flotter sur la crête des vagues un objet noir qui, au milieu de l’écume et des tourbillons, se rapprochait de plus en plus... J’étendis le bras et ma main rencontra un autre bras, que je serrai comme dans un étau... Mon bras fut presque arraché de l’épaule par le poids du corps flottant, mais, grâce à une vigueur peu commune, je parvins à le hisser dans le canot... À ce moment même, un rayon de Lune éclaira le visage de l’homme que je venais de sauver ; c’était Léo, Léo arraché, vivant, ou mort, au gouffre de l’Océan !...

Notre situation était terrible ; nous étions obligés de vider constamment l’eau qui envahissait notre canot et deux lignes de brisants se dressaient en face de nous, grondant et mugissant comme des hôtes de l’enfer. « Prenez le gouvernail, Mahomet, dis-je en arabe, et tâchons de les franchir. » Mahomet se cramponna à la barre, tandis que je ramai avec l’énergie du désespoir et, grâce à l’adresse de notre timonier, nous passâmes sans encombre au milieu d’un gigantesque tourbillon d’écume et nous pûmes gagner un petit bras de mer où les flots étaient relativement paisibles.

Mais nous étions inondés d’eau, et à un demi-mille environ se dressait la deuxième ligne de brisants. Heureusement, la tempête s’était tout à fait calmée et la Lune, voilée un instant, nous découvrait maintenant un cap rocailleux, terminé par un pic qui semblait éloigné de nous d’un mille tout au plus. À ce moment même, Léo ouvrit les yeux et prononça deux ou trois mots ; il était sauvé !...

Quelques minutes après, Mahomet nous faisait franchir heureusement les nombreux brisants et, contournant rapidement le cap dont je viens de parler, nous entrions dans une rivière au cours paisible. Léo dormait profondément... La Lune commença à descendre dans le firmament, la clarté des étoiles pâlit devant une lueur étincelante qui s’élevait à l’orient, et bientôt l’aurore versa des torrents de lumière sur la crête des vagues, sur les montagnes, sur la ligne des côtes, sur les marais qui s’étendaient au delà ! Hélas ! le Soleil qui se levait pour nous s’était couché hier pour dix-huit de nos compagnons, dont les corps étaient maintenant ballottés parmi les rochers et les herbes de l’Océan !

Enfin, le soleil émergea des flots dans toute sa splendeur et inonda la terre de chaleur et de lumière. Bientôt ses rayons éclairèrent le pic surmontant le promontoire que nous avions doublé avec tant de difficulté, et je constatai avec stupeur que le sommet du pic avait la forme d’une tête et d’un visage de nègre, à l’aspect terrifiant... Il n’y avait pas à s’y tromper ; tout y était, les lèvres épaisses, le nez aplati, le crâne arrondi et, pour compléter la ressemblance, une touffe d’herbe ou de lichen poussant sur le crâne et figurant la toison d’une tête colossale de nègre... C’était assurément fort étrange, et je crois à présent qu’il y a là, non une pure fantaisie de la nature, mais un monument gigantesque élevé par un peuple inconnu, à titre d’avertissement et de défi aux ennemis qui viendraient aborder. Quoi qu’il en soit, cette figure menaçante continue d’âge en âge à dominer les profondeurs de l’Océan : c’est là qu’elle se dressait il y a deux mille ans, à l’époque d’Amenartas, la femme de Kallikrates, ancêtre de Léo, c’est là qu’elle se dressera encore plusieurs siècles après que nous serons descendus dans la tombe !...

— Que pensez-vous de ceci, Job, demandai-je à notre serviteur en lui montrant cette tête diabolique.

— Oh ! monsieur, répondit Job, qui remarquait pour la première fois l’objet en question, je pense que c’est le diable en personne qui a posé pour son portrait sur ces rochers !

J’éclatai de rire, ce qui éveilla Léo.

— Oh ! oh ! s’écria-t-il, qu’ai-je donc ? Je me sens tout raide ; où est le navire ?

— Le navire est englouti, répondis-je ; tout l’équipage est noyé, à l’exception de nous quatre, et vous-même vous n’avez été sauvé que par miracle.

Et, tandis que Job allait chercher un flacon de cognac pour le réconforter, je lui racontai notre étrange aventure.

— Ciel ! dit-il d’une voix, faible. Tiens ! ajouta-t-il soudain, après avoir avalé quelques gorgées de cognac, voilà cette fameuse tête dont parle l’inscription !

— Oui, dis-je, c’est elle.

— Alors, répondit-il, toute l’histoire est vraie ?

— Je n’en suit nullement sûr. Nous savions que cette tête était là, votre père l’a vue, ce n’est probablement pas la même tête dont parle l’inscription ; et, en tout cas, cela ne prouve rien.

— Vous êtes un incrédule, oncle Horace, me répliqua Léo en souriant. Qui vivra, verra.

— Fort bien. Et maintenant, Job, ramons vigoureusement, et voyons si nous pouvons trouver une place pour aborder.

La rivière où nous entrions ne semblait pas très large, bien que le brouillard qui couvrait ses rives nous empêchât d’en bien mesurer la largeur. Il y avait, comme dans presque toutes les rivières de la côte d’Afrique, une barre considérable à l’embouchure, mais nous parvînmes à franchir cet obstacle sans trop de difficulté. Quelques instants après, la brume se dissipa, et nous vîmes que le petit estuaire avait environ un demi-mille de large, les rives étaient fort marécageuses et peuplées de crocodiles couchés au milieu de la vase. À un mille devant nous, cependant, on apercevait une sorte de langue de terre, et, nous dirigeant vers ce point, nous prîmes le parti de débarquer, après avoir amarré notre bateau à un arbre magnifique, de l’espèce des magnolias. Un copieux déjeuner répara nos forces épuisées ; nous étions heureux d’avoir entassé toutes nos provisions dans la barque avant que l’ouragan ne détruisît le navire.

Notre repas terminé, nous nous mîmes à explorer les alentours. Nous nous trouvions sur une langue de terre large d’environ deux cents mètres sur cinq cents de long, bordée d’un côté par la rivière, de l’autre par des marais désolées, qui s’étendaient à perte de vue. Cette langue de terre était élevée d’environ vingt-cinq pieds au-dessus des marais environnants et du niveau de la rivière ; elle avait en réalité tout l’air d’avoir été créée de main d’homme.

— C’est un ancien wharf, dit Léo sentencieusement.

— Allons donc ! répondis-je. Qui serait assez stupide pour construire un wharf au milieu de ces affreux marais et dans un pays habité par des sauvages, si toutefois il est habité ?

— Peut-être n’y a-t-il pas toujours eu ici des marais et des sauvages, dit-il sèchement, en regardant la rive escarpée. Voyez donc, ajouta-t-il en désignant un endroit du rivage où l’ouragan de la nuit dernière avait déraciné un magnolia et soulevé en même temps une grande quantité de terre, n ’est-ce pas là un ouvrage en pierre ? Ça en a bien l’air, en tout cas.

— Allons donc ! répliquai-je de nouveau, en me dirigeant avec lui vers l’arbre déraciné.

— Eh bien ! dit-il.

Cette fois, je ne répondis rien, car je venais d’apercevoir une véritable muraille de pierres reliées entre elles par du ciment... Et ce n’est pas tout ; voyant un objet qui émergeait du sol au bas de la muraille, j’écartai la terre avec mes mains et je mis au jour un énorme anneau de pierre, épais d’environ trois pouces. Je demeurai stupéfait.

— On dirait un wharf où de gros navires ont été amarrés, n’est-ce pas ? oncle Horace, dit Léo avec animation

À suivre

RIDER HAGGARD

(Traduit de l’anglais par M. Georges Labouchère)