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Rider Haggard : She 30

mercredi 23 décembre 2020, par Denis Blaizot


épisode précédent

Ce texte a été publié le 15 mars 1920 1920 dans l’Excelsior. Et vous pouvez le retrouver aujourd’hui sur Gallica.
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SHE (ELLE) 30

Roman de M. RIDER HAGGARD

XXII (Suite)

Léo se leva et se hâta de changer de place ; le souvenir évoqué par Ayesha n’avait évidemment aucun charme pour lui.

— Je vous ai amenés ici, continua Ayesha, pour que vous voyiez le spectacle le plus merveilleux qu’ait jamais contemplé un œil humain, la pleine Lune éclairant les ruines de Kôr. Quand vous aurez fini votre repas, je vous montrerai ce temple gigantesque et le dieu que les hommes y adoraient autrefois.

Ces paroles nous décidèrent naturellement à partir sur-le-champ. Et ici, je suis encore obligé d’avouer que ma plume est impuissante à décrire les magnificences dont nous fûmes témoins. Comment donner une idée de ces cours succédant aux cours, de ces rangées de colonnes gigantesques, sculptées parfois du piédestal au chapiteau, de ces espaces vides qui parlaient plus éloquemment à l’imagination que des rues bondées de monde ? Et, par-dessus tout, un silence mortel, un sentiment de solitude et de désolation, et le spectre du passé planant sur ces débris ! Que c’était beau et lugubre en même temps ! Nous n’osions parler tout haut..., Ayesha elle-même se sentait émue en présence d’une antiquité auprès de laquelle sa longue existence était peu de chose ; nous nous contentions de chuchoter, et nos murmures semblaient, errer de colonne en colonne, pour se perdre ensuite dans l’air paisible... La Lune éclairait les colonnes, les cours et les murailles, cachant leurs imperfections sous sa robe argentée, et revêtant leur antique majesté de l’éclat particulier de la nuit ! C’était un merveilleux spectacle de voir la pleine Lune projeter sa lumière sur le sanctuaire ruiné de Kôr. Nous nous demandions avec stupeur depuis combien d’années le globe là-haut et la ville morte ici-bas s’étaient contemplés ainsi mutuellement, se racontant au milieu des espaces solitaires l’histoire de leur vie perdue et de leur gloire disparue ! De minute en minute, les ombres se glissaient à travers les cours recouvertes de gazon comme si les esprits des anciens prêtres avaient hanté leur sanctuaire ; la beauté et la grandeur de cette scène nous pénétraient jusqu’au fond de l’âme, et faisaient revivre sous nos yeux la pompe et la splendeur que la tombe avait engloutis !

Nous regardions depuis quelque temps déjà ce spectacle merveilleux, quand Ayesha nous dit :

— Je veux vous montrer maintenant la merveille des merveilles, pourvu, toutefois, que les injures du temps l’aient épargnée. Et, sans attendre notre réponse, elle nous fit traverser deux autres cours, et nous conduisit au sanctuaire même du vieux temple.

Là, au centre d’une cour intérieure, qui pouvait avoir environ cinquante mètres carrés, nous nous trouvâmes en face de l’œuvre d’art la plus grandiose qu’ait jamais donnée au monde le génie de ses enfants. C’était une colossale statue de femme, haute d’environ six mètres, et dont, la beauté éclatante et quasi céleste me remplit d’une si vive émotion que mon cœur cessa un instant de battre dans ma poitrine... Cette femme tendait les bras comme si elle avait voulu embrasser quelqu’un qu’elle aimait passionnément, et toute son attitude donnait l’impression d’une tendre supplication. Elle était entièrement nue, sauf un voile léger qui recouvrait son visage, et dont l’un des bouts retombait sur sa poitrine, tandis que l’autre flottait dans les airs.

— Qui est-elle ? demandai-je, dès que je pus détacher mes yeux de la statue.

— Tu ne devines donc pas, Holly ? demanda Ayesha. Eh bien ! c’est la Vérité invitant ses enfants à dévoiler sa face. Vois ce qui est écrit sur le piédestal. C’est emprunte sans doute au Livre des Écritures de ces hommes de Kôr.

Et elle nous conduisit au pied de la statue où une inscription en caractères hiéroglyphiques se lisait encore visiblement. Ayesha nous la traduisit de la sorte :

« N’y aura-t-il donc aucun homme pour soulever mon voile et contempler mon visage ? Celui qui soulèvera mon voile, je serai à lui, et je lui donnerai la paix et les vrais biens !...

 » Et une voix s’écria : « Quoique tous ceux qui te cherchent te désirent, tu es vierge, et vierge tu resteras jusqu’à la fin des Temps ! Aucun homme vivant ne » soulèvera jamais ton voile ! Il n’y a que la mort qui puisse soulever ton voile, ô Vérité. »

 » Et la Vérité étendit les bras et pleura amèrement, parce que ceux qui la cherchaient ne pouvaient la trouver, ni la regarder en face ! »

— Tu vois, dit Ayesha, quand elle eut fini de traduire, la Vérité était la déesse du peuple de Kôr, et leurs sanctuaires lui étaient consacrés ! Quoique sachant qu’ils ne la trouveraient jamais, ils la cherchaient néanmoins.

— Il en est de même encore maintenant, ajoutai-je tristement ; l’homme cherche la vérité, mais sans la trouver, car il n’y a que dans la mort qu’on trouve la vérité !

Quelques instants après, nous jetions un dernier regard à cette admirable statue, si parfaite et si pure qu’on l’aurait crue animée d’un véritable souffle de vie, et, traversant de nouveau les vastes cours éclairées par la Lune, nous revenions à notre point de départ.

XXIII

Le lendemain, les muets nous réveillèrent avant l’aurore ; et, après avoir fait nos ablutions à un jet d’eau qui était resté intact au milieu des ruines du temple, nous allâmes trouver Ayesha. Celle-ci se tenait debout près de sa litière, tandis que Billali et les deux porteurs étaient occupés à rassembler les bagages. Bien qu’Ayesha fût voilée comme de coutume, je pus observer qu’elle avait un air de tristesse et d’abattement qui contrastait avec sa vivacité et sa fierté habituelles. Léo lui demanda comment elle avait dormi.

— Fort mal, mon cher Kallikratès, répondit-elle. Cette nuit, j’ai eu des rêves étranges et hideux, et je ne sais ce que ces rêves me présagent. Il me semble qu’un péril me menace ; et, cependant, que puis-je redouter ? Je me demande, continua- t-elle avec une tendresse toute féminine, je me demande si, dans le cas où il m’arriverait malheur, tu te souviendrais de moi ? Je me demande si tu attendrais mon retour, comme durant des siècles j’ai attendu ta venue ?

Puis, changeant de sujet :

— Mettons-nous en route, dit-elle, car nous avons loin à aller, et il faut que nous arrivions avant demain à la Source de la Vie.

Cinq minutes plus tard, nous poursuivions notre chemin à travers les ruines de la cité, qui se détachaient d’une manière lugubre sur le ciel grisâtre.

Juste au moment où les premiers rayons du soleil levant éclairaient ces restes désolés, nous atteignions le mur d’enceinte. et, après avoir jeté un dernier regard sur les monuments grandioses de la ville disparue, nous franchissions le large fossé pour nous retrouver dans la plaine.

Peu à peu Ayesha recouvra toute sa gaieté, et elle nous dit en riant qu’il fallait attribuer sa tristesse passée aux lugubres souvenirs de rendront où elle avait dormi.

— Ces barbares prétendent que Kôr est hanté, ajouta-t-elle ; et, en vérité, je crois, qu’ils ont raison, car je n’ai jamais passé une si mauvaise nuit, sauf une fois dans ma vie. C’était au même endroit, quand tu gisais mort à mes pieds, Kallikratès. Je ne visiterai plus jamais ce lieu de mauvais augure.

Après une courte halte pour déjeuner, nous fîmes tant de diligence qu’à 2 heures de l’après-midi nous arrivions au pied de la vaste muraille de rocher que formait le rebord du volcan et qui s’élevait à la hauteur de quinze cents ou deux mille pieds. Nous nous arrêtâmes en cet endroit, et je n’en fus guère surpris, car je ne voyais pas comment il nous serait possible d’aller plus loin.

C’est maintenant, dit Ayesha en descendant de sa litière, que notre labeur commence, car nous allons nous séparer de ces hommes et marcher seuls désormais ; et toi — s’adressant à Billali — reste ici avec ces esclaves, jusqu’à notre retour. Nous serons revenus demain, vers midi ; sinon, attendez-nous.

Billali s’inclina humblement et dit que les ordres de la reine seraient exécutés, dût-il rester là jusqu’à la fin de ses jours.

— Quant à cet homme, ô Holly, dit Ayesha en désignant Job, il vaudrait mieux qu’il demeure également, car, si son courage n’est pas à la hauteur de la tâche, peut-être lui arrivera-t-il malheur. Et puis, les secrets que nous allons pénétrer ne sont pas faits pour les yeux du vulgaire.

Je traduisis ceci à Job, qui me supplia sur-le-champ, les larmes aux yeux, de ne pas le laisser en arrière. Il ne verrait certainement, disait-il, rien de plus terrible ce qu’il avait déjà vu, et il tremblait à l’idée de rester seul avec ces « muets »> qui s’empresseraient sans doute de le massacrer.

Je traduisis ces paroles à Ayesha qui haussa les épaules et répliqua :

— Qu’il vienne donc ; peu m’importe ; il servira, d’ailleurs, à porter la lampe et ceci, en outre.

Et elle désigna une planche étroite, longue d’environ seize pieds, qui était attachée à son hamac, et dont nous n’avions pu deviner l’utilité.

La planche fut confiée à Job, ainsi qu’une des lampes. Je pris l’autre sur mon dos, tandis que Léo se chargeait des provisions. Ceci fait, Ayesha ordonna à Billali et aux six muets de se retirer derrière un buisson de magnolias distant d’environ cent mètres, et d’y rester sous peine de mort jusqu’à ce que nous eussions disparu. Ils s’inclinèrent humblement et obéirent, et, au moment de me quitter, le vieux Billali me donna une cordiale poignée de main, en murmurant qu’il ne m’enviait guère d’aller faire cette terrible expédition en compagnie de la reine — il avait bien raison, ma foi. Au bout d’une minute, ils étaient tous partis, et, après nous avoir demandé si nous étions prêts, Ayesha tourna ses regards vers la colline escarpée.

— Ah ! ciel ! Léo, m’écriai-je, nous n’allons sûrement pas escalader ce précipice ?

Léo haussa les épaules sans répondre, tant il était fasciné par le mystère de notre entreprise. Sur ces entrefaites, Ayesha commença à gravir la colline, et nous dûmes naturellement la suivre. C’était merveilleux de voir la facilité et la grâce avec lesquelles elle sautait de rocher en rocher. L’ascension n’était pourtant pas aussi difficile qu’on aurait pu le croire, car le roc, s’élevant en pente douce, n’était pas encore aussi abrupt à cet endroit qu’il était plus haut. Après avoir gravi une vingtaine de mètres, nous atteignîmes une arête, assez étroite tout d’abord, mais qui, s’élargissant peu à peu, nous conduisit, en fin de compte, à une sorte d’ornière ou repli de rocher, encaissé comme un sentier du Devonshire. Ce sentier continuait durant environ cinquante ou soixante pas, puis aboutissait soudain à une caverne, qui était certainement de formation naturelle, comme le démontraient ses contours irréguliers ; toutes les grottes creusées par les anciens habitants de Kôr étaient, en effet, parfaitement symétriques et régulières. Ayesha s’arrêta à l’ouverture de cette caverne, et nous ordonna d’allumer les deux lampes, ce que je fis aussitôt ; puis elle prit la tête et s’avança au milieu de la grotte en tâtant son chemin avec soin, ce qui était fort nécessaire, car le sol était parsemé de quartiers de roc et creusé en quelques endroits de trous profonds, où l’on aurait pu aisément se briser la jambe.

Après avoir fait mille détours dans cette caverne, longue d’environ deux kilomètres, nous parvînmes enfin à l’extrémité opposée, et tandis que j’essayais d’explorer les ténèbres, un courant d’air violent éteignit les deux lampes.

À suivre

RIDER HAGGARD.

(Traduit de l’anglais par M. Georges Labouchère.)