Accueil > Ebooks gratuits > Rider Haggard : She > Rider Haggard : She 36

Rider Haggard : She 36

mercredi 23 décembre 2020, par Denis Blaizot


épisode précédent

Ce texte a été publié le 21 mars 1920 1920 dans l’Excelsior. Et vous pouvez le retrouver aujourd’hui sur Gallica.
Ebooks gratuits
Des Epub et Pdf faits avec soin pour vous faire redécouvrir des œuvres anciennes tombées dans le domaine public.

SHE (ELLE) 36

Roman de M. RIDER HAGGARD

XXV (Suite)

Je me contestai de secouer la tête, car mon ardeur était bien éteinte, et je répugnais plus que jamais à la prolongation de mon existence terrestre. En outre, nous ne savions quels pourraient être les effets du feu. Le résultat produit sur Ayesha n’était certes guère encourageant, et nous ignorions naturellement les causes qui avaient produit ce résultat.

— Eh bien ! mon fils, nous ne pouvons rester ici jusqu’à ce que nous ayons le sort de ces deux-là, dis-je en montrant les tristes restes d’Ayesha et le cadavre déjà raidi du pauvre Job. Si nous devons partir, mieux vaudrait partir tout de suite.

Léo partagea entièrement mon avis et, après avoir rallumé les deux lampes (il nous restait heureusement encore un peu d’huile, et les mèches n’étaient, pas entièrement consumées), je l’aidai à faire nos préparatifs de départ.

Avant de nous mettre en route, nous serrâmes tous deux la main de Job. C’était une cérémonie un peu froide, mais nous n’avions pas d’autre moyen de témoigner notre respect au pauvre défunt et de célébrer ses obsèques. Quant aux restes d’Ayesha nous n’étions nullement disposés à les découvrir et à contempler de nouveau ce terrible spectacle ! Mais chacun de nous emporta une boucle des cheveux noirs qui étaient tombés de sa tête au milieu de son affreuse agonie, et nous possédons encore ces boucles, seul souvenir qui nous reste de la grandeur et des charmes d’Ayesha ! Léo porta à ses lèvres les cheveux parfumés.

— Elle m’a demandé de ne pas l’oublier, dit-il d’une voix rauque, et elle a juré que nous nous reverrions ! Ah ! ciel, je ne l’oublierai jamais... Je jure que si nous pouvons sortir d’ici, je n’aurai de ma vie aucune autre passion, et que partout où j’irai, je l’attendrai aussi fidèlement qu’elle m’a attendu.

— Oui, pensai-je, si elle revient avec la beauté que nous lui avons connu. Mais, supposons qu’elle revienne dans cet état ?

Là-dessus, nous nous mîmes en route, laissant ces deux êtres réunis dans le séjour glacé de la tombe, en face de la Source même de la Vie ! Nous avions le cœur brisé, tellement brisé que la perspective de l’immortalité n’avait plus aucun charme pour nous, car nous savions que prolonger indéfiniment nos jours ne serait que prolonger nos souffrances. Nous sentions qu’après avoir contemplé Ayesha, nous ne pourrions jamais l’oublier, et que son souvenir serait éternellement gravé dans notre cœur. Hélas ! en ce qui me concerne, je n’avais et n’ai aucun droit sur elle ; ne m’avait-elle pas dit que je ne lui étais rien, et que je ne lui serais jamais rien, quoi qu’il arrivât ?... Quant à Léo, c’est bien différent, et j’envie souvent son sort, car si Ayesha ne s’est pas trompée, il a un brillant avenir devant lui. Mais moi, je n’ai aucun espoir, et pourtant — voyez combien le cœur humain est insensé - je ne me trouve pas malheureux ; je garde pieusement le souvenir de quelques douces paroles, et j’ai la confiance qu’un jour ou l’autre, dans l’avenir lointain, un gracieux sourire me récompensera de mon dévouement envers elle, et envers Léo !

XXVI

Nous traversâmes les grottes sans aucune peine, mais le plus difficile était de gravir le cône renversé et de trouver notre chemin. En vérité, si je n’avais pris note mentalement de la forme des divers rochers, etc., je suis sûr que nous aurions erré dans le cratère du volcan, jusqu’à ce que nous fussions morts d’épuisement et de désespoir. C’était néanmoins une tâche extrêmement pénible que de ramper au milieu des ténèbres, n’ayant que la faible lueur des lampes pour nous éclairer. Nous marchions en silence, nos cœurs étaient trop oppressés pour parler ; tombant parfois et nous coupant les mains. Le fait est que nous étions littéralement accablés et que nous nous souciions peu de ce qui pouvait nous arriver. Durant trois ou quatre heures environ, nous errâmes de la sorte, finissant par perdre notre chemin, et je commençais à craindre que nous ne fussions enfoncés dans quelque cratère subsidiaire, quand soudain je reconnus un énorme rocher qui se trouvait à peu de distance du sommet. Peu d’instants après, nous gagnions sans trop de peine l’escalier de pierre, et nous nous trouvions de nouveau dans la petite chambre où l’ermite avait fini ses jours.

À l’aube, le vieillard lui-même apparut, et nous dit qu’en se servant du nom redouté d’Ayesha, il était parvenu à réunir les porteurs nécessaires et deux guides pour nous conduire à travers les marais, et qu’il nous conseillait de partir sur-le-champ, annonçant en même temps son intention de nous accompagner pour nous protéger contre une trahison quelconque. Je fus vivement touché de cet acte de bonté du vieux barbare vis-à-vis d’étrangers sans défense. Un voyage de trois jours à travers les marais ne serait pas une petite tâche pour un homme de son âge, mais il le faisait avec plaisir pour veiller à notre sûreté. Cela prouve que même parmi ces féroces Amahagger, il y a des hommes au cœur généreux. Peut-être l’intérêt personnel y était-il pour quelque chose, car Billali pouvait penser que la reine reviendrait lui demander compte de ses actes. Quoi qu’il en soit, nous ne nous serions certes pas attendus à de pareils égards et, tant que je vivrai, je garderai un souvenir reconnaissant de mon soi-disant père, le vieux Billali.

Ainsi donc, après avoir pris quelque nourriture, nous partîmes en litière, nous sentant singulièrement reposés après notre long sommeil.

La montée de la colline fut des plus pénibles. Nous suivions la plupart du temps un sentier en zigzag, taillé sans doute par les anciens habitants de Kôr. Les litières étaient naturellement inutiles en cet endroit, et nous étions obligés de marcher.

Vers midi, nous atteignîmes le sommet de cette puissante muraille de rochers, et un spectacle grandiose s’offrit à nos regards, avec la plaine de Kôr, au centre de laquelle nous, distinguions d’un côté le Temple de la Vérité, et de l’autre l’interminable marais. Cette muraille de rochers, qui avait sans doute formé le rebord du cratère, était encore couverte de scories. Rien n’y poussait, et la monotonie de ce site désolé n’était rompue çà et là que par des flaques d’eau de pluie. Nous montâmes sur la crête de ce puissant rempart, puis, vint la descente qui, moins difficile que la montée, était assez vertigineuse cependant, et nous prit plusieurs heures. Cette nuit-là, nous campâmes en sûreté sur les ondulations de terrain qui s’étendaient jusqu’aux marais.

Le lendemain matin, à 11 heures environ, commença notre triste voyage à travers ces océans de marais que j’ai déjà décrits.

Durant trois jours entiers, nos porteurs se traînèrent péniblement au milieu des boues pestilentielles, et nous atteignîmes enfin une vaste plaine inculte et presque sans arbres, mais fertile en gibier de toute sorte, qui s’étend au delà de ce district désolé et impraticable sans guide. C’est là que, le jour suivant, nous fîmes, non sans regret, nos adieux à Billali. qui nous bénit d’un ton solennel en caressant sa barbe blanche.

— Adieu, mon fils, dit-il ; adieu, Léo. Je ne puis faire davantage pour vous. Mais si vous revoyez jamais votre pays, ne vous aventurez plus dans des contrées que vous ne connaissez pas, de peur que vos os blanchis ne marquent la limite de votre voyage ! Adieu encore ; je penserai souvent à vous, et tu ne m’oublieras pas, mon cher fils, car bien que ton visage soit laid, ton cœur est généreux.

Là-dessus, il nous quitta, emmenant avec lui les porteurs à l’air lugubre, et nous les vîmes s’éloigner lentement, semblables à une procession emportant des cadavres hors du champ de bataille. Peu après, les brouillards du matin les dérobaient à nos regards, et nous restions seuls au milieu du désert immense...

Trois semaines auparavant, quatre hommes avaient pénétré dans les marais de Kôr et maintenant deux d’entre eux étaient morts, et les deux autres avaient passé par des aventures et des épreuves plus terribles que la mort... Trois semaines, et trois semaines seulement ! En vérité, il nous semblait qu’il y avait trois ans que notre baleinière s’était engloutie !

— Nous devons tâcher de gagner le Zambèze, dis-je ; mais Dieu sait si nous y arriverons jamais !

Léo fit un signe approbatif. Il était devenu très silencieux depuis quelques temps, et nous partîmes, n’emportant que nos vêtements, une boussole, nos revolvers, nos fusils à tir rapide et quelques munitions : et ainsi finit notre visite aux ruines de Kôr, l’antique et vénérable cité ! Quant aux aventures qui nous arrivèrent ensuite, quelque étranges et variées qu’elles aient été, je me suis décidé, tout pesé, à ne pas les raconter ici. Dans les pages qui précèdent, j’ai seulement voulu donner un récit clair et net d’un événement que je crois devoir être d’un puissant intérêt pour le monde entier, si jamais nous nous déterminons à publier ce manuscrit. D’un commun accord, nous avons décidé que cette publication n’aurait lieu qu’après notre mort.

Quant au reste, il offre peu d’intérêt, ressemblant aux péripéties de la plupart des voyages en Afrique. Qu’il suffise de dire qu’après d’incroyables épreuves et privations, nous atteignîmes le Zambèze, situé à environ cent soixante—dix milles de l’endroit où Billali nous avait, quittés. Là, nous fûmes retenus prisonniers durant six mois par une tribu sauvage, qui nous prit pour des êtres surnaturels, à la vue du jeune visage et des cheveux blancs de Léo. Nous pûmes enfin échapper à ces indigènes et, peu après, traversant le Zambèze, nous nous dirigions vers le sud, où nous avions la chance de rencontrer un métis portugais, chasseur d’éléphants, qui s’était enfoncé dans l’intérieur à la poursuite d’une troupe d’éléphants. Cet homme nous traita avec bonté et, grâce à son aide nous atteignîmes la baie de Delagoa, plus de dix-huit mois après être sortis des marais de Kôr, et le lendemain noue prenions un des bateaux à vapeur qui vont en Angleterre par la voie du Cap. Notre voyage s’accomplit sans encombre et nous débarquâmes à Southampton juste deux ans après être partis pour notre expédition c’est dans la chambre même où le pauvre Vincey était venu me trouver, le soir de sa mort, que je termine le récit de cette étrange aventure dont le dernier mot n’est peut-être pas encore dit, tant la nature recèle de mystères !

Fin

RIDER HAGGARD.

(Traduit de l’anglais par M. Georges Labouchère.)

She : un volume In-16 (5 francs) à l’« Édition Française Illustrée », Paris.