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Jacques Constant : Ayamara

dimanche 17 janvier 2021, par Denis Blaizot

Ce conte a été publié le 16 septembre 1921 1921 dans l’Excelsior.
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Assise sur un rocher qui surplombait la grève de sable roux, Ayamara scrutait du regard aigu de ses petits yeux noirs l’azur vertigineux de la mer. Au-dessus de sa tête brune, un sabal agitait doucement ses palmes où voltigeait une tribu d’oiseaux aux couleurs éclatantes. Une fumée grise, montant en spirale au-dessus de la forêt, décelait seule l’existence d’un village caraïbe.

Tandis que la brise caressait ses cheveux bruns, Ayamara rêvait à une prédiction de la sorcière Huave. Cette vieillie femme chichimèque au visage plissé de rides et que l’on redoutait pour ses maléfices, ne lui avait-elle pas annoncé que dans un certain nombre de lunes l’esprit des eaux enverrait à Guanahani des étrangers d’une beauté plus qu’humaine, dont l’un prendrait pour femme la jeune Caraïbe.

Depuis ce temps, celle-ci contemplait longuement les flots dans l’attente de l’événement mystérieux.

Lasse d’écarquiller les yeux devant l’horizon vide comme les jours précédents, elle tira de son pagne de feuilles un rectangle de métal jaune, dont la surface polie reflétait, mieux encore que les eaux limpides, sa beauté cuivrée. Elle considéra sa figure ronde, sa bouche rouge aux dents menues, son nez droit, sa jeune poitrine nue et sourit à cette charmante image. Comme elle relevait les paupières, elle découvrit, très loin sur la mer immobile, trois points blancs qui semblaient grossir et un obscur pressentiment fit battre son cœur.

Quand le soleil de pourpre s’inclina derrière les collines de Guanahani, les points blancs devinrent des barques fabuleuses très hautes sur les flots et pourvues de grandes ailes blanches. L’instant d’après, elles s’environnèrent de fumée et un grand bruit de tonnerre fit retentir les échos pour l’effroi des Caraïbes, accourus sur le rivage. Puis des pirogues se détachèrent et des hommes de haute stature en débarquèrent, dont le visage était pâle et dont les vêtements resplendissaient d’une clarté lunaire.

Ils parlaient un idiome Incompréhensible, mais le cacique déclara que ces étrangers étaient les fils du soleil levant et qu’il convenait de les honorer comme des dieux, dont ils avaient le pouvoir, puisqu’ils commandaient à la foudre.

Tous les sauvages se jetèrent la face contre terre, en signe de crainte et de soumission, et chacun s’empressa ensuite d’apporter aux nouveaux venus des fruits savoureux, des herbes cuites, des poissons séchés. Tout de suite, Ayamara avait été séduite par la fière prestance d’un des étrangers, qui était justement débarqué dans le même canot que celui qui paraissait commander aux autres, et elle lui avait offert en souriant la chair succulente d’un ananas. En guise de remerciement, l’homme l’avait serrée contre son vêtement, qui était en métal rigide, et embrassée.

Et Ayamara, meurtrie et bien heureuse, connut que la prédiction de la sorcière chichimèque s’accomplissait.

La nuit suivante, elle dormit entre les bras de l’homme au visage pâle, sur un lit de feuilles sèches, dans la hutte paternelle, et dès lors elle ne le quitta plus.

Leurs idiomes les séparaient, mais ils n’avaient pas besoin de paroles pour se comprendre. Du reste, chacun apprit à l’autre des mots de sa langue et ainsi elle sut que son compagnon se nommait Hernan de Olid, qu’il était né de l’autre côté du monde et qu’il repartirait prochainement pour son pays, avec l’amiral Christobal Columbo.

La pensée qu’elle ne verrait bientôt plus l’homme que chérissait déjà son cœur fut insupportable à Ayamara.

Pour la première fois, dans sa courte existence, elle ressentit une douleur que ne provoquait pas un mal physique, et le long de son nez cuivré ruisselèrent de grosses larmes silencieuses. Confusément, elle eut l’intuition que la tristesse enlaidissait son visage et, sous son pagne de feuilles, elle chercha, pour se mirer, la plaque de métal jaune.

L’homme était assis vis-à-vis d’elle dans l’herbe fleurie. il avait dépouillé, en raison de la chaleur, le vêtement brillant qu’il nommait son armure, et il considérait la Caraïbe avec le sourire amusé que procure la vue d’un jeune animal plein de grâce. Soudain, poussant un cri, il lui arracha brutalement le miroir.

Ses grands yeux noirs, changeant brusquement d’expression, brillaient d’un éclat sinistre, tandis qu’il répétait d’une voix rauque :

— De l’or ! C’est de l’or !

Puis, prenant par les poignets Ayamara toute tremblante, il l’interrogea sans bonté, pour savoir comment ce morceau d’or était tombé entre ses mains, et s’il était possible de s’en procurer d’autres.

La jeune fille lui répondit que Guanahani ne produisait pas d’or et que la plaque provenait du pays d’Anahuac, situé derrière la mer, là où le soleil se couche. Pourtant, il était un endroit de l’île où il y avait beaucoup d’objets confectionnés avec ce métal ; c’était dans la grotte funèbre où l’on déposait les morts soigneusement bourrés d’aromates. Seulement y entier sans le cacique était un sacrilège effroyable et puni de mort.

Par des baisers, par des caresses, Hernan décida Ayamara à le conduire dans l’hypogée redoutable, lui promettant de l’emmener avec lui sur la caravelle Nina, afin qu’elle échappât au cruel châtiment qui l’attendait.

Ils partirent en expédition par une nuit sans lune et Hernan de Olid, sans s’émouvoir des spectres grimaçants alignés dans la caverne, s’empara des vases et des plaques d’or, qui scintillaient à la lueur de son flambeau. Le sac où il les avait enfermés étant très lourd, il voulut obliger Ayamara à le porter avec lui.

Mais celle-ci refusa parce qu’elle craignait d’être tourmentée par les morts, si elle touchait des objets qui leur avaient appartenu.

Hernan se retourna, fou de colère, et planta sa dague entre les deux épaules de la Caraïbe. Puis, suant, soufflant, tantôt sacrant, tantôt invoquant la Vierge noire de Palos, il emporta péniblement son fardeau jusqu’à la côte.

Le lendemain, il réintégrait heureusement la Nina, au moment où l’amiral faisait lever l’ancre pour explorer de nouveaux rivages. Il remercia humblement madame la Vierge et Monseigneur son fils d’avoir bien voulu l’aider dans son entreprise et songea joyeusement que sa fortune était faite.

Mais, comme il rêvait la nuit sur le château d’avant de la caravelle, il se sentit enlevé par les pieds et jeté à la mer. Dès qu’il eut disparu, le matelot qui avait fait le coup courut à la cabine d’Hernan et ouvrit le sac d’or.

Jacques Constant Jacques constant Jacques constant serait le pseudonyme de Jacques Étienne Constant Jordy (1873 - 1965)