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Claude Orval : Les deux compères

samedi 13 février 2021, par Denis Blaizot

Excellent petit polar qui mérite votre attention. Suicide, cambriolage, double meurtre, suspense ... tout y est pour plaire à l’amateur de romans noirs.

Ce conte a été publié dans Le Martin du 13 février 1940 1940 .

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Le roulement d’un autobus de nuit ébranla la maison endormie et fit chanter le fin cristal des vases qui ornaient une haute cheminée.

Émile Bahler tressaillit ; ses mains glissèrent, il releva son front lourd, démasquant son visage pâle et crispé. Tout de suite, son regard fut happé par le pistolet automatique posé sur le bureau, devant lui.

— Pas moyen d’arranger ça ? grommela soudain une voix.

Émile Bahler sursauta ; il se leva d’un bond, fit volte-face, distingua vaguement une silhouette.

— Qui êtes-vous ? balbutia-t-il. Que voulez-vous ?

— Ça dépend !... M’éviter du travail, peut-être... Votre coffre est fermé et il me parait de bonne fabrication !... On pourrait s’entendre...

L’homme vint tranquillement s’asseoir devant le bureau ; il prit une cigarette dans un coffret. Bahler tripotait nerveusement le browning.

— Laissez votre pétard ! conseilla le nocturne visiteur... Si j’ai bien compris, vous alliez vous faire sauter le caisson !... Alors, je répète pas moyen d’arranger ça ?

— Comment ?

— Je vais vous aider ! grogna l’autre, dédaigneux. Vous êtes Émile Bahler... Votre associé est à l’étranger, en voyage d’affaires... Profitant de cette absence, vous avez commis quelques imprudences... jeu ou femme, je ne sais pas au juste. Résultat : un joli trou dans la caisse !... Votre décision remplacer un séjour temporaire dans une cellule par une concession à perpétuité !... Vous ne croyez pas que vous pourriez trouver quelque chose de moins idiot ?

— Quoi ?

L’homme se leva ; tandis qu’il faisait quelques pas nonchalants, ses narines rejetèrent un double filet de fumée.

— Combien reste-t-il dans le coffre ?

— Une soixantaine de mille francs.

— Je m’en contenterais... Ce que vous avez barboté, j’aurais aussi bien pu l’emporter en même temps !

Bahler fit machinalement un pas en avant.

— Je ne pensais pas à ça ! dit-il très vite. Mais est-ce que ça pourra marcher ?

— Pourquoi pas ?... Question de mise en scène !...

Bahler ouvrit le coffre ; ses mains tremblantes rassemblèrent des liasses de billets.

— On partage, naturellement ! jeta-t-il en se retournant.

— Vous êtes gourmand, dites donc ! protesta l’homme. Vous avez déjà pris la plus grosse part du gâteau !

Le visage d’Émile Bahler devint dur.

— À prendre ou à laisser !

Le cambrioleur coula un regard sournois vers l’automatique qui n’était pas très loin de la main de son interlocuteur et grogna :

— Ça va... Je prends !

— Comment procédons-nous ?

— Pas malin !... Je vais vous ficeler, vous bâillonner et prendre le large. Les cordes bien serrées et la porte fracturée convaincront les policiers. Une mauvaise fin de nuit à passer, c’est tout !

L’homme jeta un coup d’œil autour de lui.

— Que cherchez-vous ?

— Des cordes.

— Par là... à l’office... dans un placard.

— Bon.

Un court instant, les deux compères s’épièrent ; enfin, le cambrioleur sortit.

Émile Bahler regarda son pistolet, puis le téléphone. Il réfléchissait rapidement.

La police ne flairerait-elle pas immédiatement une mise en scène ?... C’était à craindre !... Ce n’était pas la première fois qu’un cambriolage était simulé ! Les yeux dans le vague, Bahler allongea le bras, prit le browning, dégagea le cran de sûreté.

Ah ! si Police-Secours alertée trouvait le corps d’un bandit abattu, tout changeait !... L’histoire « tenait ». Rien de plus facile que d’inventer un complice ayant réussi à s’enfuir en emportant tout l’argent.

Émile Bahler se colla au mur, arme braquée.

... Un rouleau de cordes à la main, l’homme hésitait à quitter la cuisine.

— Pourquoi pas tout le fric ? marmotta-t-il. Il va fort, le frère. Après tout, il allait se suicider. Je suis sûr que son pétard est du même calibre que le mien !

Il sortit son revolver, l’arma machinalement et poursuivit le cours de ses méditations.

Il se glissa à pas feutrés vers le bureau.

... Les compères se virent en même temps et les deux coups de feu n’en firent qu’un !

Tué net Émile Bahler s’effondra.

Mains au ventre, le cambrioleur se cassa en deux ; il gémit, pressa convulsivement sa blessure, lutta un moment contre une affreuse douleur térébrante, puis il s’abattit sur les genoux, s’allongea face contre terre et ne bougea plus.

Claude Orval