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Maurice Level : Colette Paradis

samedi 27 novembre 2021, par Denis Blaizot

Cet excellent conte de presse signé Maurice Level Maurice Level Maurice Level, né le 29 août 1875 à Vendôme et décédé le 14 avril 1926 à Rueil, est un écrivain, journaliste et dramaturge français. a été publié dans Le Journal daté du 16 janvier 1919 1919 . Plus je lis ses nouvelles moins je comprends qu’il soit tombé dans l’oubli. Toute fois, depuis quelque temps certains petits éditeurs ressortent certains de ses nouvelles fantastiques en eBook. Mais avant d’aller chercher ailleurs, lisez donc celles que j’ai mises en ligne.

Document original Enfin ! Sa copie numérique :-)

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Quelques répliques, deux couplets, quelques répliques encore, et elle s’appuya au portant, la bouche égayée d’un sourire, la poitrine un peu haletante, amusant ses doigts à la dentelle de sa jupe. Puis, son sourire s’éteignit, elle laissa errer un regard sur la salle : Lansac souhaita le retenir une seconde, mais le regard glissa sur lui sans s’arrêter. Il ouvrit le programme, y chercha le nom de la jeune femme, découvrit qu’elle s’appelait Colette Paradis, qu’elle serait successivement dans la Revue la dame qui a perdu son filleul, la contrôleuse démobilisée, la vedette américaine du cinéma, et les scènes où elle ne jouait pas lui parurent insignifiantes. A minuit, possédé de ce brusque désir dont l’ombre trouble les nuits des jeunes hommes timides et des collégiens amoureux, il regarda sortir les spectateurs, guettant la porte des artistes : la voûte du théâtre devint déserte, les lampes s’éteignirent. Il crut la reconnaître, fit un geste pour s’approcher, hésita, n’osa pas, et elle disparut. Alors, il haussa les épaules, un peu honteux, et se mit en route, poursuivi par le souvenir de ses jolis yeux.

De menus détails fleurissaient autour de lui : le bas de soie où la jambe coulait un reflet de nacre, le talon rouge d’un petit soulier, un geste machinal et familier, sans doute, pour relever l’épaulette du corsage, la blancheur des dents mordillant la lèvre, un peu de côté, et la caresse du double nom à la fois prometteur et candide : Colette Paradis.

Il revint au théâtre le lendemain, mais, pas plus que la veille, il n’osa lui parler, passé minuit. Pourtant la petite image le hantait, et il répétait doucement :

— Colette Paradis… Colette Paradis…

Imaginant qu’il serait doux de le murmurer près de ses cheveux, parce que dire certains noms d’une certaine voix c’est presque dire : « Je vous aime ! »

Pendant une semaine il ne manqua guère de représentation. Parfois, avant de sortir de chez lui, il disposait des fleurs dans les vases, se berçant de l’espoir qu’au retour, qui sait ? elle se pencherait peut-être sur leur parfum… Mais quand il revenait solitaire, les regardant presque jaunies, déjà, il cherchait, parmi leurs lourds pétales, l’odeur vivante que devaient sentir ses épaules.

Un soir, le long du décor où il avait pris l’habitude de la regarder apparaître, une autre, qui portait la même robe courte, les mêmes souliers à talons rouges, s’avança. Il attendit, pensant la voir au second acte, au troisième… Le spectacle s’acheva sans elle ; à minuit, impatient de sa trop longue patience, il partit et sans doute l’aurait-il oubliée si, un matin, en ouvrant son journal, il n’avait lu, au milieu des Échos de théâtres, une note de quelques lignes :

« Nous apprenons avec regret la mort de Colette Paradis, la gentille divette du Tréteau, enlevée brusquement par la grippe. Les obsèques auront lieu mercredi, à midi, à la Trinité. »

Il laissa tomber la feuille et murmura :

— Ah ! la pauvre petite…

C’était fini ! On ne verrait plus son sourire, ses yeux candides… Finie, Colette Paradis ! Il évoquait des souvenirs charmants hier, aujourd’hui lamentables : la couleur d’une robe, un refrain, le scintillement d’un bijou, obsédé par la. pensée de ce départ, l’image qu’il essayait de se faire de la morte, étendue toute droite parmi l’ombre, le froid et le silence, ne sachant s’il devait regretter devoir été. trop timide pour lui parler, ou se féliciter qu’elle n’eût pas joué un plus grand rôle dans sa vie.

Le soir, passant devant le Tréteau, il vit sur l’affiche, à la place où la veille on lisait le nom de Colette Paradis, une étroite bande avec un nom nouveau.

Le lendemain, la pluie se mit à tomber, une pluie lourde et serrée de décembre. Le front contre la vitre, Lansac songea :

— Il n’y aura personne à son enterrement…

Il se représenta, le convoi timide, le pavé boueux, les chevaux somnolents sous l’averse, le corbillard cahoté, des amis un instant fidèles, puis s’écartant l’un après l’autre par les rues latérales et la bière finissant sa route presque seule, jusqu’à un cimetière de banlieue, parmi les tombes lavées par l’averse, les bouquets jaunissants, les grilles mangées de rouille et les sapins immobiles. Cette vision l’émut d’une pitié profonde et il se hâta vers l’église.

La cérémonie était commencée depuis un instant quand il entra. Perdue dans l’ombre de la nef, face à l’autel, la bière semblait toute petite sous la lumière de crépuscule qui tombait des vitraux. Il demeura immobile, les bras croisés, engourdi par l’odeur d’encens. Près de lui, une vieille femme agenouillée priait ; un homme, un peu à l’écart, pleurait sans bruit ; à ses côtés d’autres silhouettes se penchaient. Lansac, les yeux attachés au catafalque sur qui dansait le jeu d’ombre et de clarté des cierges, songeait à la scène du Tréteau, aux accords du piano, à la chanson de la petite morte. Puis le prêtre descendit avec les enfants de chœur, tourna en psalmodiant les prières qui ferment à jamais les portes de la vie, et le bruit des chaises repoussées le tira de son rêve.

Une jeune femme se leva et demanda à sa voisine :

— Tu viens embrasser sa mère ?

— Non, je n’ai pas le temps, répondit l’autre, je répète à une heure, tu lui expliqueras.

Il s’effaça pour la laisser passer. La fourrure de son manteau accrocha sa manchette.

— Pardon, dit-elle, en se dégageant avec un sourire.

Il tressaillit, tendit le cou, écarta un prie-Dieu, fit un pas en avant, s’arrêta, le cœur battant, et balbutia :

— Excusez-moi, madame… mais…

Elle avança plus vite ; il poursuivit :

— Je vous en prie… Ce n’est pas possible ?… Une hallucination… une folie… mais vous ressemblez tellement… tellement… à une personne… Laissez-moi vous regarder une seconde… Vous n’êtes pas ?… Voyez… je n’ose même pas prononcer un nom… Vous n’êtes pas ?…

Elle le dévisagea, troublée par l’accent suppliant de sa voix :

— Je suis Maud Villa, dit-elle.

Il poussa un soupir et murmura :

— Merci, madame… Pardonnez-moi… Mais je viens d’avoir une émotion invraisemblable, vous ressemblez tellement à Colette Paradis, que dans cette pénombre… sous cette voilette… l’illusion fut un instant si forte, qu’en ce moment même, il me faut encore me défendre… On a dû vous dire souvent qu’elle vous ressemblait ?…

Elle hocha la tête :

— Non, jamais. Colette était aussi brune que je suis blonde.

Il s’obstina :

— Alors, madame… je perds la tête… Vraiment… je ne sais plus…

Ils étaient arrivés au porche de l’église ; elle releva sa voilette. Il cria presque :

— Mais c’est vous ! Vous que j’ai vue vingt soirs de suite sur la scène. vous qui chantiez au Tréteau ! Vous y chantez bien, n’est-ce pas ? Vous portiez une robe blanche, des talons rouges, cette bague, qui est encore à votre doigt. Et je n’ai jamais lu le nom que vous me dites sur le programme…

— C’est exact, dit-elle. Comme je doublais Colette, mon nom n’y figurait pas…

Alors, il lui saisit la main violemment :

— Ah ! que c’est bon ! Que vous m’avez fait peur ! Vous ! C’était vous ! C’est vous…

Il parlait en tremblant, comme on parla à un être qu’on croyait perdu et qu’on retrouve. Il lui contait ses pensées, ses espoirs, ses timidités d’un long mois. Tous les mots qu’il s’était répétés à lui-même, il les lui disait avec une ardeur d’enfant : « Tous les soirs, vous espérant, je mettais pour vous des fleurs sur ma table. Ma cheminée s’ornait, d’un grand portrait de vous ; j’attendais dix heures du soir pour vous regarder sur la scène… Minuit pour vous apercevoir dans la rue… le lendemain pour vous revoir encore… Songez, songez à ce que j’ai pu éprouver en lisant… Mais c’est vous… Vous êtes là… Vous, Colette…

Il se mordit les lèvres, affreusement troublé d’avoir prononcé ce nom, et reprit :

— C’est vous… vous, tout court…

Elle retira sa main qu’il gardait dans la sienne et l’arrêta :

— Non… Vous avez bien dit… C’est bien Colette que vous attendiez, que vous souhaitiez… que vous avez pleurée une minute Une amourette, ce n’est jamais qu’un nom qui passe… Vous oublieriez la femme ; mais vous vous souviendriez du nom… Consolez-vous… Adieu, monsieur…

Il s’inclina lentement sans répondre. Une minute il eut la tentation de l’implorer, de la retenir… Mais, au bout de la rue, le corbillard, que suivaient deux vieux courbés, s’en allait cahotant sur les pavés gras… Et il le regarda disparaître…

Maurice Level Maurice Level Maurice Level, né le 29 août 1875 à Vendôme et décédé le 14 avril 1926 à Rueil, est un écrivain, journaliste et dramaturge français.

Maurice Level : nouvelles choisies
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