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La Providence des Ivrognes

vendredi 1er novembre 2013, par Denis Blaizot

Arthur Marcus Bain avait trouvé ce tra­vail quelques mois plus tôt. Mais quel tra­vail ! Placier en contrats d’assistance pour La Providence des ivrognes. En quoi consis­tait cette activité ? Me direz-vous. Rien de plus simple : proposer à des fêtards un service d’accompagnement à domicile pour les fins de soirée difficiles ; tarifs variés proportionnels à la qualité du service rendu et adaptés aux moyens financiers du consommateur. Quand celui-ci éprouve le besoin de se faire raccompagner à son do­micile, il appelle, ou fait appeler, la société où des équipes spécialement entraînées attendent pour intervenir à toute heure du jour et de la nuit aux conditions stipulées dans le dossier de l’impétrant.

Dans les premiers temps, Arthur appli­qua la technique traditionnelle des ven­deurs de contrats d’assurance, mais très vite il s’aperçut qu’il n’arriverait à rien comme cela. Les pratiques potentielles, ne souhaitant pas admettre devant leurs proches qu’il leur arrivait d’avoir besoin d’aide pour rentrer à la maison, refusaient l’offre ; allant parfois jusqu’à être violents. Les solitaires, eux, étaient déjà sur leur terrain d’opération favori.

C’est ainsi qu’il prit un soir la décision d’aller chercher ses chalands au seul en­droit ou ils seraient réceptifs. Il se mit à écumer les bars et les boites de nuit avec la ferme intention de s’y faire une clientèle. Et elle fut nombreuse. L’estime de ses col­lègues et un revenu enfin confortable l’invi­taient à poursuivre dans cette voie.

Mais la médaille avait un revers : le moyen le plus sûr de communiquer avec le prospect était de boire avec lui. Il avait bien pensé à souscrire lui-même un contrat d’assistance à La Providence des Ivrognes. Les premiers temps il ne s’agissait que de quelques verres par jour, et la nécessité ne s’en faisant pas sentir, il oublia cette idée. Mais les fins de soirée d’Arthur furent de plus en plus dures. Non pas qu’il délaissa son travail, loin de là. Il lui était simplement devenu impossible d’enter dans un bar ou une boite sans être reconnu par plusieurs clients qui lui offraient à boire avant de lui présenter un ami.

Un matin d’hiver, on le retrouva mort à quelques pas de son domicile, alors qu’il rentrait chez lui. L’enquête révéla qu’il n’avait été victime d’aucune agression. Ar­thur, rentrant à pied ivre mort d’une de ses trop longues nuits de labeur, avait chu­té dans la neige. Assommé par toutes ses libations, il s’était endormi à jamais.