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Maurice Renard : Le témoin

mercredi 21 octobre 2020, par Denis Blaizot

Auteur : Maurice Renard

Titre français : Le Témoin

Année de parution : 1935 1935

Aujourd’hui, je me propose de vous faire découvrir un travail de Maurice Renard Maurice Renard qui sort des classiques romans et nouvelles fantastiques. Il s’agit du script d’un sketch radiophonique rédigé par l’auteur du Dr Lerne et des Mains d’Orlac. Bien sûr je pourrais me contenter de vous en dire beaucoup de bien et de vous laisser dans l’expectative la plus complète.

Mais je préfère vous proposer de le découvrir en lisant le tapuscrit numérisé par la BNF ou la version adaptée par mes soins juste en dessous (Ce qui ne veux pas dire que réécrit le texte. Juste changer la présentation pour passer de script à nouvelle).

En tout cas un petit texte très sympa où l’auteur de M. d’Outremort sait garder la petite touche de mystère


À la Ferté-Milon, le petit vieux M. Bourdure monta dans un compartiment de deuxième classe. Trois voyageurs s’y trouvaient. M. Bourdure les salua poliment. Les trois hommes touchèrent le bord de leurs chapeaux, et continuèrent à parler entre eux.

M. Bourdure était sociable. Il s’installa dans un coin, sourit de bonne grâce, tira de sa poche un porte-cigarettes très usagé, et dit avec une exquise politesse :

— Messieurs, je pense que la fumée du tabac ne vous incommode par, puisque vous-même...

Les autres fumaient en effet. Deux pipes et un cigare. L’homme au cigare répondit :

— Faites ! Faites ! Et même, si vous voulez bien accepter un Havane...

Il tira de sa poche un magnifique objet fusiforme, bagué de pourpre et d’or, blond, luxueux. M. Bourdure minauda :

— En vérité, je ne sais si je dois...

— Prenez donc !

Et le train partit...

M. Bourdure rentra son porte-cigarette usagé et se mit à fumer le Havane. Mais ses compagnons de voyage manifestèrent par leur attitude, l’intention bien arrêtée de ne pas causer davantage avec le nouveau venu ; et M. Bourdure dut se contenter de les examiner à la dérobée, au sein du nuage bleu qui remplissait le compartiment.

Bien qu’il ne fût qu’un modeste rédacteur du ministère du travail, le vieux M. Bourdure se plaisait à la contemplation de l’humanité. Il en observait volontiers les types. Ainsi remarqua-t-il que de ses trois compagnons, l’un arborait une physionomie très franche, voire candide ; les deux autres — dont l’homme au cigare — lui semblèrent des quidams moins sympathiques, cauteleux, vantards, qui s’entretenaient tout bas avec le premier, lui marquaient une déférence servile, dont M. Bourdure songea qu’il se méfierait, lui, à la place de ce bon monsieur au regard si honnête.

Mais M. Bourdure n’eut pas le temps de poursuivre son étude. Parti de Paris le matin même, il avait beaucoup travaillé chez le notaire de La Ferté-Milon, à débrouiller une question d’héritage. Il se sentait las, somnolent. Au surplus, la fumée du Havane lui montait au cerveau. La chaleur du wagon, l’atmosphère étouffante de cette tabagie l’accablaient. M. Bourdure ne tarda pas à s’endormir d’un sommeil pesant.

La nuit venait. Décembre. Cinq heures du soir environ. Le convoi roulait.

Or, M. Bourdure s’éveillant en sursaut, vit un spectacle qui le glaça d’horreur.

La portière était ouverte sur les ténèbres. Le bon monsieur, livide et la tête ballante, gisait sur le plancher. Et les deux autres s’occupaient activement à le jeter dehors.

L’infortuné M. Bourdure, incapable de faire un geste, ni d’articuler une syllabe, assista impuissant, au dernier acte du crime qui venait d’être commis. Quand les meurtriers se retournèrent, leurs besogne sinistre étant faite, ils aperçurent le petit rédacteur immobile dans son coin, plus pâle que le cadavre même de leur victime, et qui les regardait avec des yeux extasiés par l’épouvante. L’homme au cigare jura.

— Bon dieu !

M. Bourdure comprenait vaguement qu’il avait gêné les malandrins, que son intrusion avait failli sauver la vie de leur malheureuse dupe. Le Havane,parbleu ! était un narcotique ! On avait espéré que M. Bourdure, anesthésié, ne se réveillerait qu’en gare de Paris, secoué par un homme d’équipe. Alors, il aurait pu croire que les trois voyageurs étaient descendus avant lui, et il n’aurait pas semait l’alarme.

Mais tous cela, M. Bourdure se l’expliquait on ne peut plus confusément, abîmé qu’il était au fond de la terreur et du désespoir.

Menaçants, les poings tendus, (et quels poings !) les deux compères s’avancèrent sur lui.

Il supplia, bredouilla :

— Je ne dirai rien.. je vous le jure ... Faites pas de mal... Père de famille...

Les criminels s’interrogeaient de regard, furieux et inquiets, le sourcil froncé, les traits crispés. L’homme au cigare dit d’une voix grave :

— Qu’est-ce qu’on décide ?

Mais le second, un hercule rageur, avait empoigné M. Bourdure par le cou, et le secouait durement, tandis que de pauvres... poliment, mon dieu ! poliment...

— Pas de gaffes ! Laisse-le ! On a du temps devant nous ! Faut voir !

Lâché, M. Bourdure se mit à genoux. Il ne savait plus ce qu’il disait.

— Messieurs... Grâce !... Je n’ai jamais menti. sur l’honneur, je ne dirai rien... On m’attend chez moi... J’ai... voyez-vous, ce soir, justement...

Et il mentit soudain. Il mentit d’une façon stupide, ridicule, ayant trouvé, dans les habitudes de toute sa longue et mesquine existence bureaucratique, une idée vraiment inepte, qui lui paraissait péremptoire en ces minutes terribles :

— Ce soir, voyez-vous, j’ai justement... à dîner... chez moi... mon chez de bureau, M. Piat et sa dame... et aussi mon sous-chef, M. Clinchard... vous comprenez... Je suis rédacteur... Messieurs, messieurs... Mes enfants... Et ce dîner, Messieurs... Mon avancement, voyez-vous... Je fais serment ! Soyez tranquilles ! Oh ! Je vous en supplie !

Ils le considéraient, brutaux, hésitants. L’homme au cigare, le moins fauve des deux, le remit sur pied, et sans ménagements d’ailleurs, le fouilla tout à coup.

Dans le porte-feuille, vidé avec promptitude, il saisit des cartes de visite : Alfred Boudure, rédacteur au ministère du travail, 153 rue Mouffetard.

— C’est comme ça que tu t’appelles ? C’est là que tu habites ?

— Oui.

— Ça va ! Eh bien ! écoute : on t’aura à l’œil. On retient ton nom et ton adresse. si tu dis un mot, un seul, on te fait ton affaire. Tu entends ?

— Je jure...

Et il s’affaissa sur la banquette, à bout de forces.

On arriva à Meaux. Le train stoppa. Quand M. Boudure rouvrit les yeux, il était seul, et le convoi roulait dans la nuit.

Une heure après, chancelant, le petit M. Boudure montait ses six étages. L’’excellente Mme Boudure l’accueillit avec son éternel sourire de vieille femme aimante et dévouée. Mais tout de suite, dès qu’ils furent dans la salle à manger, où les quatre couverts journaliers étaient mis sous la suspension, elle remarque l’air égaré de son mari. Elle lui dit, anxieuse :

— Qu’est-ce que tu as, Papa ?... Tu es malade ?...

— Mais... mais... Tu as donc oublié que M. Piat et sa dame dînent chez nous avec M. Clinchard... Vite ! vite ! Habille-toi, voyons ! Que les enfants aillent chez le traiteur sans perdre une seconde ! Acheter... acheter tout ce qu’il faut ! On n’a pas idée d’avoir oublié une chose aussi importante ! Rien n’est prêt, sur ma foi !

— M. Piat... sa dame... M. Clinchard... Tu ne m’as jamais dit...

— Allons donc ! Pour qui me prends-tu ? Dépêche-toi, mille tonnerres ! Nos invités vont arriver !... Je te dis qu’ils vont arriver ! Hop ! Qu’on dresse la table ! Et plus vite que ça, n’est-ce pas ! Clinchard, Piat et sa dame, voilà !... Bon dieu ! Qu’as-tu à me regarder comme un phénomène ?... Suis-je fou ,... Voyons.. ; suis-je fou ?

***

Il l’était !

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En fait il est probable que ce texte soit l’adaptation radiophonique d’une nouvelle de Maurice Renard Maurice Renard datée de 1927 et portant même titre. Celle-ci a été rééditée récemment dans Trains de terreur une anthologie publiée par Les clefs d’argent.