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Maurice Renard : La pendule d’albâtre

samedi 24 octobre 2020, par Denis Blaizot

Cette nouvelle de Maurice Renard Maurice Renard a été publiée dans Le matin, daté du 18 septembre 1928 1928 . vous pouvez en consulté la numérisation sur le site de la BNF. Les amateurs de Polar ou fantastique pourraient être déçus... enfin, peut-être :-) cette nouvelle ne ressort pas de ces genres.

De part et d’autre de la somptueuse cheminée, M. le comte et Mme la comtesse de Nis étaient assis face à face. Le feu brûlait gaillardement. Deux paravents déployaient leurs zigzags contre les courants. d’air qui rôdaient. Sans quitter des yeux l’ouvrage de broderie dont elle occupait ses vieilles mains restées des plus fines :

— Eh ! mon ami, dit la comtesse, de quel air mélancolique vous regardez la pendille !

M. le comte répondit en tapotant sa tabatière :

— Et mon amie, c’est que ces objets-là ont accoutumé de la fuite du temps et que j’y suis particulièrement sensible aujourd’hui. Vous savez pourquoi. C’est à cause de demain, Je me réveillerai — si je me réveille — âgé de soixante et dix ans.

— Je vous en félicite, Adrien. Car vous êtes là qui vous portez à ravir et, depuis quarante ans que nous sommes époux, vous avez vécu comme un coq en pâte. Mais, vraiment, est-ce à cause de cela que vous regardiez ainsi la pendule ?

— Que voulez-vous dire, ma mie ?

— Il m’avait semblé que vos yeux fussent retenus moins par le cadran que par ce vase qui le surmonte, tout là-haut.

M. le comte de Nis leva les yeux, un instant, vers l’urne d’albâtre entourée d’un fil de perles dorées, puis les rabaissa sur la comtesse en y laissant briller une petite flamme de curiosité.

Tirant l’aiguille d’une main ralentie, Mme de Nis le considéra un peu en dessous, avec un sourire malicieux.

— Hum ! Adrien, ne savez-vous pas que ce vase n’est nullement simulé ? Qu’on en peut ôter le couvercle, et que ce couvercle recouvre un vide parfaitement propre à servir de boite à lettres aux amoureux ?

— Je n’en disconviens pas, reconnut le comte avec une exquise politesse.

— Et vous n’ajoutez rien ? Allons, brave et charmant homme que vous êtes, parlez ! Voici trente-huit ans que la langue me démange. Satisfaites mon impatience !

— Que je sois damné si je vous entends s’écria M. de Nis.

— Je vais vous rafraîchir la mémoire. Un jour, deux ans après nos épousailles, n’avez-vous pas grimpé sur quelque fauteuil et déposé là-haut, dans le vase d’albâtre, un billet doux ?

Le sein de la comtesse se soulevait davantage, malgré le temps passé. Le comte, après un silence, répondit lentement :

— Si fait.

— Eh bien !... Ne me direz-vous pas, aujourd’hui, à qui ce billet doux était destiné ? Cela n’a plus d’importance, n’est-ce pas ? Au demeurant, allez, je sais bien que vous fûtes toujours le plus constant des maris. Votre mystérieux caprice fut de courte durée et, en dépit de ma vigilance, je n’ai jamais pu savoir le nom de ma rivale. Mais j’avais soustrait le billet, elle ne trouva rien dans le vase ; la peur vous prit-elle tous deux ? Contez-moi l’aventure, Adrien.

— Le voulez-vous ?

— Je vous en prie.

— Et en revanche ?...

— En revanche de quoi...

— Je voulais vous dire pour prix de ma confidence, ne m’en ferez-vous pas une autre, à votre tour ? Une femme, mon Dieu, a bien toujours quelque petite histoire à raconter, et puisque nous en sommes aux aveux.

Mme de Nis étendit la main et dit : « C’est juré ! tandis que le comte, s’étant levé aussi prestement que l’âge le lui permettait, baisait le bout des doigts sortant d’une mitaine de résille. Puis il se rassit et commença de la sorte :

— Elle avait vingt ans et, si jolie qu’elle fût, je vous assure, foi de gentilhomme, qu’elle ne l’était pas plus que vous.

— Son nom ! Ayez du courage, Adrien, d’autant que vous voyez bien que je vous ai pardonné.

— Son nom ? Souffrez que, pour l’heure, nous l’appelions, par exemple, Chloé. Vous vous divertirez, chemin faisant, il découvrir sa véritable personne et je gage que vous serez fort surprise.

— Bah ? Je l’ai bien connue sans doute ?

— Vous l’avez mieux connue depuis qu’auparavant. Je poursuis. Elle était mariée...

— Oh ! Quelle horreur !

— Mariée à l’un de vos meilleurs amis : un homme de prestance médiocre ; ni beau ni laid, auprès de qui certain chevalier un peu spadassin, danseur de menuets et dompteur de chevaux, brillait d’un vif éclat. C’est à la cour que ce don Juan lui fut présenté. Le roi favorisait singulièrement la fortune de cet élégant séducteur. Chloé fut subjuguée en un tournemain. Chloé, pourtant, était honnête et, de plus, aimait son mari. Comprenez-moi, je ne veux pas dire qu’elle fut amoureuse de lui. Il y a une différencie que vous sentez.

Mme de Nis avait jeté son ouvrage sur un guéridon. Elle ouvrait de grands yeux. Ses paupières battaient précipitamment.

— Notre Chloé, continua le comte, vécut quelques semaines dans une agitation extrême. Elle lutta de toutes ses forces contre le sentiment qui l’embrasait soudain. Cependant, le chevalier s’était aperçu du trouble que sa présence provoquait. Il résolut d’en profiler, mit en œuvre tous ses moyens de se fit inviter aux bals de Chloé, la moindre occasion de sa montrer a elle et devint l’ami de la maison. C’est ainsi qu’il obtint de la jeune femme — oh ! ce fut tout ce qu’il obtint ! — de correspondre avec elle par le truchement du la pendule. C’était là, dans sa pensée, le commencement de la fin. Les baisers suivraient les billets et...

— Et, fit la comtesse, qu’aurai-je à vous conter, moi, si vous me volez mon récit ? Mais comment savez-vous mon secret, le seul secret que je vous aie jamais caché ? Chloé, c’était moi...

— C’était vous, ma chère âme, vous qui, un soir, furtive et rougissante, juchée sur un escabeau, introduisîtes un petit papier dans l’urne de la pendule. Ce miroir vous vit. Vous vous grandissiez, vous enfonciez le petit papier au fond de la cavité lorsque vos doigts — ô surprise ! — touchèrent un autre billet déposé là, par qui ? Par le chevalier ? Non ! L’écriture était la mienne ! Lors, vous avez pâli. Vous avez lu. Quoi ! au moment de le bafouer, vous découvriez que votre mari vous trompait, qu’il employait, comme vous pensiez le faire, le stratagème de la pendule Mais alors il se pouvait que ce fût lui qui trouvai votre billet ! Et, vite, vous les avez glissés tous deux dans votre sein...

— Ce que vous ne savez peut-être pas, dit la comtesse fort émue, c’est combien j’ai souffert à partir de ce moment-là ! Sans doute, puisque vous connaissiez le mystère de mon cœur, sans doute avez-vous observé ma froideur envers le chevalier ? Sans doute avez-vous assisté à la défaite de ses entreprises ? Mais savez-vous que c’est la jalousie qui en fut cause ? Ah ! comme je vous aimais ! comme l’idée de vous perdre me donna l’envie de vous garder ! Dieu ! avec quelle joie je constatai qu’aucune femme ne semblait plus vous attirer et que le vase de la pendule restait vide de vos brûlantes déclarations ! Dites, mon ami, l’avez-voua su, au moins, que c’est votre billet qui m’a rendue à vous ?

— Eh ! riposta le comte avec simplicité, quelle autre raison me l’aurait fait écrire ? L’avez-vous encore, ce billet ? Relisez-le ; c’est à vous qu’il s’adresse !

Ils se regardaient tendrement, à travers le voile des larmes. Enfin, elle murmura :

— Ah ! mon ami ! Que vous connaissez bien le cœur des femmes !

Il avoua dans un sourire :

— C’est pourquoi je ne vous ai rien dit plus tôt.

Maurice Renard Maurice Renard .