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Maurice Renard : L’heure où l’on parle

dimanche 1er novembre 2020, par Denis Blaizot

Cette nouvelle est initialement parue dans Le Matin du 1er décembre 1934 1934 . Mais vous pouvez aussi la retrouver dans Romans et contes fantastiques, le « Bouquin » qui est consacré à Maurice Renard Maurice Renard par les éditions Robert Laffont.

Jusqu’à la fin, je me suis demandé si j’avais bien affaire à une enquête du commissaire Jérôme. Il n’y a pas enquête à proprement parler, mais, oui, c’est une une nouvelle mettant en scène le commissaire et son secrétaire( le narrateur). Pourtant, je ne parlerais pas d’enquête. Le secrétaire, sous un nom d’emprunt, passe des vacances d’un petit hameau où il est rejoint par le commissaire sous un faux prétexte — lui aussi se présente sous un faux nom. Et là, résolution de l’énigme... Ah bon ? il y avait une énigme ? Bref. Cette nouvelle est très bien écrite mais sa fin est décevante. Elle aurait mérité d’être développée en un texte nettement plus long.

Des raisons particulières m’avaient fait choisir, cette année-là, pour m’y reposer bien tranquillement, un hameau perdu au cœur d’une région montagneuse. J’y arrivai, un beau matin, portant sur le dos mon sac suisse et mon attirail de peinture. Au seuil d’une maison proprette, j’avisai une femme qui tricotait. Je lui dis que, depuis quelques jours, je parcourais le pays pour y découvrir un endroit calme, tout à fait comme celui-ci, et je lui demandai si elle pensait que quelqu’un du hameau consentirait à m’héberger pendant un mois environ.

Cette femme, en m’écoutant, m’examinait. Il faut croire que je lui fis bonne impression, car elle me dit que si je voulais loger sous son toit, elle me prendrait volontiers en pension.

— Pourvu que vous ne soyez pas trop difficile ! Parce que je ne suis un cordon bleu, vous savez !

Nous tombâmes d’accord sur les conditions. Et c’est ainsi que je devins le pensionnaire de Mme Amblin, veuve de guerre et cultivatrice.

La chambre que je devais occuper était fort convenable. Mme Amblin, lorsqu’elle m’y introduisit, me dit d’un ton concentré :

— C’était la chambre de ma fille.

Je n’insistai pas, sur le moment ; mais, à quelques jours de là, Mme Amblin, en me servant un succulent ragoût (car elle cuisinait admirablement, en dépit de sa croyance), me confia que sa fille, Marie-Jeanne, était morte deux ans auparavant. On l’avait trouvée pendue à un arbre, dans la forêt.

Mme Amblin pleura, au récit qu’elle me fit de ces heures tragiques. Je compris pourtant qu’elle y puisait un soulagement et que ma sympathie lui faisait du bien. Je le compris mieux encore plus tard, lorsque je me rendis compte que Mme Amblin ne s’épanchait pas auprès de ses voisins. Il y avait là, en tout, cinq feux, cinq foyers l’un à côté de l’autre. Les habitants étaient frustes, primitifs. Mon hôtesse, si simple, si paysanne qu’elle fût, préférait garder pour elle ses souvenirs, ses regrets, son chagrin. Cette brave femme, au contraire, goûtait une pauvre joie à m’entretenir de ses deuils : de son mari, tué devant Verdun, et de cette jolie jeune fille si gaie, si avenante, dont le suicide stupéfiant avait laissé sa mère à jamais atterrée.

— Comment expliquer çà, monsieur Darger ? À dix-neuf ans ! Aller se périr dans les bois, quand on n’en a point de motif !

J’évoquai le mystère des âmes et des cœurs. Mais Mme Amblin, sans oser contredire « un homme qui a de l’instruction », hochait la tête et restait comme hébétée au bord de cet abîme dont j’avais essayé de lui montrer la profondeur.

Nous ne causions guère qu’au moment de mes repas, qu’elle me servait dans ma chambre avant de prendre les siens. Le reste du temps, je m’en allais de-ci de-là peindre des bouts de paysage, ou bien je me livrais à de longues siestes, étendu sur l’herbe, ou bien — plus rarement — je m’amusais à faire parler les campagnards. Leur patois me divertissait, leur esprit aussi, plein de gros bon sens, leur esprit épais, parfois malin d’une malice puérile. Trois familles nombreuses les Sostelier, les Borjet et les Fromenteau ; un chaume n’abritant que le bonhomme Reunic, type de sexagénaire bavard et vantard qui eût charmé Balzac et dont la conversation était un régal pour un citadin comme moi. Le père Reunic, à l’entendre, savait tout faire, n’ignorait rien ; il ne cessait de discourir pour vous en convaincre, émaillant son éloquence de facéties rustiques et d’énormes finesses. Avec lui, on ne pouvait jamais placer un mot, mais son monologue était si pittoresque qu’on ne songeait pas à s’en plaindre.

J’étais au repos depuis quinze jours, lorsque le facteur — qui devait me maudire, car, avant que j’y fusse, il ne venait pas souvent jusque là — m’apporta une lettre. Je déjeunais. Mme Amblin me dit :

— Bonnes nouvelles, monsieur Darger, je vois ça à votre figure !

— Oui, certes, madame Amblin. J’ai écrit à l’un de mes amis, le docteur Morey, que je me trouve bien ici. Et savez-vous ? Voilà qu’il arrive, pour passer avec moi ma dernière quinzaine de vacances. C’est un savant et un homme délicieux, mon aîné de beaucoup, mais que j’aime comme un frère.

— C’est très bien, mais où va-t-on le loger ?

En effet, c’était le hic. Le problème fut heureusement résolu. Je laisserais ma chambre à Morey, et Mme Amblin me dresserait, dans une pièce débarrassée ; un lit de sangle qu’elle emprunterait aux voisins Sostelier.

Le surlendemain, Morey fut reçu par la population avec enthousiasme. Étant mon ami, il bénéficiait des sympathies que je m’étais acquises. Du reste, ce grand beau garçon, aux tempes toutes blanches, a toujours inspiré la confiance et même un respect dont je reconnais n’avoir jamais été l’objet.

Je lui fis les honneurs de ce coin verdoyant, qu’il admira beaucoup. Je lui montrai mes aquarelles, qu’il admira moins, Vers le soir, pour qu’il n’ignorât plus rien des curiosités de l’endroit, je le menai chez Reunic. Le bonhomme nous accueillit bruyamment et nous dispensa la familiarité la plus flatteuse.

Mais il advint que Morey, s’étant approché d’un fourneau sur lequel pétillait une fricassée de champignons, se mit à dire :

— Eh là ! mon brave monsieur Reunic, vous n’allez pas manger ces champignons, je suppose ?

— Pourquoi donc ça, monsieur le docteur ?

— Ils ne sont pas tous comestibles. Tenez : celui-ci, celui-là...

— Pas comestibles ! Ah ! monsieur le docteur, permettez-moi de vous contredire ! s’exclama Reunic épanoui. Pour connaître les champignons, je les connais ! Vous pouvez manger ceux-là, je vous garantis que vous ne serez pas malade !

— Je n’en ferai certainement rien, repartit Morey.

Il faisait sombre dans ce taudis. Mon ami prit la poêle, s’en fut à la fenêtre pour mieux examiner les champignons, et, pendant ce temps, Reunic me bourrait le bras avec vigueur, en clignant de l’œil d’une façon peu déférente à l’égard de Morey.

— Non, certainement, je n’en mangerai pas ! répéta celui-ci.

Or, sachez bien que, deux heures après, comme nous allions nous coucher, Reunic, chancelant, s’accrochant à la porte, Reunic livide et ruisselant de sueur, tordu de souffrance, nous apparut. Il râla :

— Monsieur le docteur... Vite, vite ! Empoisonné... Champignons... Aviez raison... Haaaa !...

Nous le couchâmes sur le lit. Il hurlait. Morey lui donna, à boire, des médicaments de sa trousse de voyage. Une accalmie se produisit ; mais bientôt les souffrances redoublèrent.

Tous les adultes du hameau étaient dans la chambre.

— Une chance que monsieur le médecin soit ici ! dit la femme Fromeriteau.

Morey serra les lèvres, et, s’approchant de nous, murmura :

— Il est perdu. Quel homme est-ce ? Dois-je ne lui rien cacher ?

— Je connais Reunic, dis-je. Il vaut mieux lui dire la vérité.

Morey s’exécuta.

— Monsieur Reunic, votre état n’est pas désespéré. Cependant, si vous aviez à prendre des dispositions, à exprimer des volontés...

Alors Reunic s’épouvanta, supplia Morey de le sauver... Et tout à coup, affolé à l’idée de la mort et de l’au-delà, il gémit entre d’affreux sanglots :

— Je m’accuse ! Je m’accuse ! Écoutez-moi, tous ! C’est moi qui ai tué la Marie-Jeanne Amblin ! Pardon, madame Amblin ! pardon, tous !

Morey, qui lui tenait le poignet, sortit de sa poche un engin métallique, quelque appareil médical, sans doute...

C’étaient des menottes, qui claquèrent en se bouclant aux poignets du moribond !

— Rassurez-vous, Reunic ! Vous ne mourrez pas aujourd’hui, mais plus tard et... autrement. Vous n’êtes pas empoisonné. Il y a deux heures, chez vous, près de la fenêtre, j’ai simplement jeté sur vos excellents champignons quelques pincées d’une certaine poudre, d’un effet plutôt désagréable, mais tout à fait inoffensive.

 » Voyez-vous, nous savions bien, M. Darger et moi, que vous avoueriez votre crime, vous croyant à l’article de la mort. Et quand j’ai su, par une lettre de mon secrétaire, que vous mangiez fréquemment des champignons, alors je suis venu, sachant ce qu’il fallait emporter.

 » Notre profession, Reunic, nous a rendus psychologues, M. Darger et moi : M. Darger, mon secrétaire, qui s’appelle en réalité Gérard. — moi, qui suis le commissaire divisionnaire Jérôme.

 » Gérard, allez s’il vous plaît, au prochain poste téléphonique, et prévenez la gendarmerie. »

Maurice Renard Maurice Renard