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Jean Joseph-Renaud : Son dernier regard

samedi 14 novembre 2020, par Denis Blaizot

Cette nouvelle policière est parue dans Le Matin du 22 juin 1940 1940 (elle fut également éditée dans le même journal le 23 du même mois.)

Bonne petite nouvelle policière. Toute la scène se déroule au tribunal, pendant un procès pour meurtre. La preuve de la culpabilité n’est pas certaine, mais une découverte de dernière minute remet en cause le verdict.

J’avais aime l’adaptation d’Ambrose Bierce que Jean Joseph-Renaud Jean Joseph-Renaud Jean Joseph Renaud est né à Paris, 9e arrondissement (France), le 16 janvier 1873 et mort à Suresne (Hauts-de-Seine), le 07 décembre 1953. Romancier et publiciste, il aussi traduit de l’anglais en français. Fleurettiste, il fut également propagateur du judo du ju-jitsu en France. Il a utilisé les pseudonymes de « Jean Carmant » et « Jean Cassard ». Vous pouvez retrouver certains de ses textes dans la rubrique les milles et un matins publiée dans le quotidien Le Matin de 1919 à 1940. avait publié. Je vais continuer à recherche des textes de cet écrivain.

— La parole est à la défense ! nasilla le président, voûté dans sa robe sanglante.

Me Arthur Robin, le célèbre avocat d’assises, s’étant levé, il y eut un grand silence. On perçût le murmure de la foule qui n’avait pu entrer et s’énervait au dehors. Les jurés épongeaient leurs bonnes faces un peu hagardes. Dans l’auditoire, tassé, haletant, les faces-à-main de dames en belles toilettes se haussèrent vers l’orateur et réfléchirent l’éclat des lampes que l’on venait d’allumer.

La sensationnelle « affaire Maud Reinhardt », dont allait se jouer une des scènes principales, emplissait les gazettes depuis des mois. Cette admirable blonde qu’on appelait la « veuve tragique » avait-elle empoisonné son pauvre fonctionnaire de mari dans le dessein, d’ailleurs déçu, d’épouser un amant riche et mûr ? Etait-elle une martyre ou un monstre ? Dans la presse et dans le public, où elle comptait d’enthousiastes partisans et des ennemis féroces, on ne traitait plus d’autre sujet.

Le ministère public présentait un faisceau très impressionnant de probabilités, mais aucune preuve matérielle nette. L’autopsie de M Reinhardt, tombé raide mort quelques minutes après l’absorption d’une tasse de tilleul préparée par sa femme, n’avait rien révélé. Selon les médecins légistes, ce foudroyant décès ne pouvait être naturel ; toutefois, ils avouaient leur embarras à conclure, les organes, parfaitement sains, n’ayant offert aucune trace de poison. Mais malgré les soins pris par Mme Reinhardt d’écarter les domestiques, l’un d’eux affirmait l’avoir vue, à travers l’entrebâillement d’une porte, verser une drogue dans le breuvage. Et élevée en Orient, où son père avait été consul, elle s’était vantée, à diverses reprises, de connaître des poisons de là-bas, mystérieux et sûrs. Elle répondait à cela que le valet rêvait ou mentait, et que dire qu’on assassine avec subtilité en Orient constitue un propos banal. Oui, elle avait eu des amants mais entre l’adultère par Intérêt et le crime, la marge est grande, heureusement pour bien des femmes !

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Il en était ainsi de tout le débat entre l’accusation et la défense. Des soupçons justifiés contre des raisons admissibles.

La beauté fascinante de l’accusée, les scandales de sa vie conjugale étalés comme en leçon de luxure, les amants haut placés qu’on lui prêtait, avaient dès le début attiré sur cette cause la curiosité sadique du monde entier. Et depuis quelque temps, l’amour éperdu d’Arthur Robin pour sa cliente ébahissait le Palais.

La charmeresse avait affolé le fameux hypnotiseur de jurys. Il ne s’en cachait point et annonçait l’intention de l’épouser dès l’acquittement, dût-il pour cela abandonner le barreau. Il s’indignait qu’on eût osé la mettre en état d’arrestation, sans même, disait-il, l’apparence d’un commencement de preuve. Nul ne croyait à l’innocence de Mme Reinhardt avec autant de véhémence et de susceptibilité. Il ne supportait pas à cet égard la contradiction. Pendant l’interrogatoire et le défilé des témoins, il avait eu une attitude agressive, coléreuse.

Les débats avaient montré aussi que la passion du défenseur était intensément partagée. Le bleu regard de la divine Maud, défiant, mauvais pour le tribunal, les jurés, les témoins, prenait une adorable douceur en se tournant vers Arthur Robin. En toutes ses attitudes, elle semblait s’appuyer sur lui tendrement. On l’accusa même d’exhiber avec affectation un amour douteux. Elle était, à la vérité, profondément sincère, candide. Les secrétaires d’Arthur Robin le proclamaient « Elle est encore plus embéguinée que le patron ! »

Écrasée par l’arrestation, soudain neurasthénique jusqu’à la folie, elle avait essayé deux fois de se suicider. Son vieil amant en fuite devant le scandale, sa famille hostile, sa réputation salie, plus d’argent, abandonnée de tous : que devenir ? Et ce beau gars de Robin, cet avocat célèbre, tout à coup lui offrait de recommencer avec lui cette vie qu’il allait sauver. Elle l’adora ! Elle comprit qu’elle aimait, pour la première fois ; que son mariage, son adultère n’avaient été que de lamentables insignifiances. Elle se sentait nouvelle, ravie, illuminée d’une merveilleuse révélation. Jamais vierge ne fut plus davantage au fiancé, ne lui donna plus éperdument son âme.

×××

Me Arthur Robin commença une plaidoirie prodigieuse d’éloquence et de logique. Ce fut un magnifique spectacle oratoire. Les arguments de l’accusation disparaissaient à cette grande voix, comme des poussières sous le vent marin. Des jurés pleurèrent. L’acquittement devenait certain.

Il y eut une suspension d’audience. À la reprise, alors que la plaidoirie allait continuer, le président déclara qu’en vertu de son pouvoir discrétionnaire, les débats n’étant d’ailleurs pas clos, il donnait pour la seconde fois la parole à M. Balagny, commissaire de police à Boulogne-sur-Seine.

Me Arthur Robin, souriant avec dédain, se rassit. Un long murmure de surprise courut dans l’auditoire, et s’apaisa quand un gros homme s’avança à la barre.

— Monsieur le président, messieurs les jurés, je vous ai dit hier tout ce que je savais de l’affaire. Mais prévenu par une lettre anonyme, je suis retourné ce matin à la maison du drame, et j’y ai trouvé, cachée dans une gouttière, cette petite bouteille dont le contenu m’a paru suspect. La voici.

×××

Il déposa la fiole sur la table des pièces à conviction. Des gens se levèrent, protestèrent. Le murmure reprit, véhément, dans le public. Le tribunal se consultait. Deux gardes municipaux entendirent Me Robin demander à sa cliente : « Qu’est-ce que ce flacon ? » et celle-ci de répondre en souriant : « Un échantillon de muscat ! »

— Messieurs les jurés, il convient de faire analyser le liquide que contient, cette fiole ! dit le président.

— Pourrais-je l’examiner ? demanda Me Robin.

— Certes !...

Le grand avocat déboucha la petite bouteille, l’approcha de ses narines et reprit :

— Messieurs les jurés, nulle analyse n’aura lieu. La preuve de l’innocuité absolue de ce liquide, qui est simplement du vin de muscat, un peu éventé sans doute, je vais vous la fournir. Regardez !

Il retroussa ses manches, et posément, d’un long geste délicat, il porta la fiole à ses lèvres.

Il allait boire. Il n’en eut pas le temps.

— Non, pas toi !... cria rauquement Mme Reinhardt, en lui arrachant le menu flacon qu’elle vida d’un trait, qu’elle projeta vers le sol où il rebondit.

Un affreux silence écrasa, une seconde, la salle de justice. On sentit la mort voleter. Le défenseur, la coupable, se contemplaient face à face, yeux stupéfaits contre yeux déjà vitreux, suprême enlacement de regards. Puis Mme Reinhardt tomba en arrière, raide, les cheveux dénoués.

Dans une petite préfecture de l’Ouest, un avocat qui semble très vieux, aux vêtements anciens et fripés, au linge malpropre, traverse parfois la grande rue, une serviette sous le bras. Courbé, rougeaud, le pas incertain, il semble ne voir personne. Il plaide parfois de petites causes locales. C’est ce qui reste de Me Arthur Robin.

Jean Joseph-Renaud Jean Joseph-Renaud Jean Joseph Renaud est né à Paris, 9e arrondissement (France), le 16 janvier 1873 et mort à Suresne (Hauts-de-Seine), le 07 décembre 1953. Romancier et publiciste, il aussi traduit de l’anglais en français. Fleurettiste, il fut également propagateur du judo du ju-jitsu en France. Il a utilisé les pseudonymes de « Jean Carmant » et « Jean Cassard ». Vous pouvez retrouver certains de ses textes dans la rubrique les milles et un matins publiée dans le quotidien Le Matin de 1919 à 1940.