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Jean Joseph-Renaud : Les coups à la cloison

mercredi 25 novembre 2020, par Denis Blaizot

Cette nouvelle signée Jean Joseph-Renaud Jean Joseph-Renaud Jean Joseph Renaud est né à Paris, 9e arrondissement (France), le 16 janvier 1873 et mort à Suresne (Hauts-de-Seine), le 07 décembre 1953. Romancier et publiciste, il aussi traduit de l’anglais en français. Fleurettiste, il fut également propagateur du judo du ju-jitsu en France. Il a utilisé les pseudonymes de « Jean Carmant » et « Jean Cassard ». Vous pouvez retrouver certains de ses textes dans la rubrique les milles et un matins publiée dans le quotidien Le Matin de 1919 à 1940. a été publiée dans Le Matin du 17 juin 1920 1920 .

Thriller ? Fantastique ? Polar ? Il y a un meurtre et un inspecteur de police. Mais ils ne servent qu’à construire la conclusion et élucider le mystère. Il y a de l’angoisse, beaucoup d’angoisse dans cet esprit malade. La narration et l’ignorance dans laquelle l’auteur nous laisse sur l’origine de ces coups à la cloison jusqu’à la conclusion en font un récit fantastique. Alors ? à votre avis ? Lisez-la. Vous ne le regretterez pas.)

La petite maison de Passy, entourée par une muette pluie d’automne, lui paraissait, ce triste soir-là, désespérément solitaire...

Pourtant, ce n’était pas la première fois que sa femme se trouvait en voyage !... On ne sait pas prévoir. Il regrettait d’avoir, la veille, en vue de son prochain départ à lui, renvoyé le valet et la bonne. Leur présence dans les chambres du haut eût rendu le silence moins complet, l’atmosphère moins hostile...

— C’est curieux comme je m’ennuie de Marthe !... Je ne l’aurais pas cru... l’an dernier, quand elle séjourna chez sa vieille cousine, comme cette fois-ci... comme cette fois !... Cela ne me gênait pas, au contraire !... J’étais satisfait d’agir à ma guise... Mais ce soir elle me manque...

Il regarda soupçonneusement les coins obscurs du cabinet de travail... Il n’osait pas allumer d’autres lampes, parce que l’ombre l’effrayait, mais le protégeait... Il ne voulait pas non plus troubler le silence... Lentement, sans heurts, il se versa un verre de cognac et le but d’un trait comme un remède.

De la confiance lui revint. Il eut un petit rire...

— Si elle était là, je ne pourrais savourer tranquillement ce bon vieil alcool !... Elle me ferait des reproches, elle m’ennuierait avec les conseils des médecins... Elle me contrarie toujours !... Et, à ces onze heures qui vont sonner, elle frapperait à la cloison de sa chambre... de sa chambre, là, côté... pour me rappeler bêtement qu’il est temps que je vienne me coucher... Ce soir je n’entendrai pas ses deux coups à la cloison : c’est toujours cela, ha ! ha ! ha !...

Le silence s’épaississait encore sur ce coin désert de Passy. Plus de tramways glissant au loin, ni d’autos. On se serait cru en pleine campagne. La pluie s’arrêtait peu à peu, remplacée par des bouffées brusques de vent... un vent marin...

Il but encore, l’oreille tendue, le cœur nerveux, parce que, malgré lui, il guettait obliquement la grande pendule qui allait sonner onze heures.

Elle sonna... L’écho de son clair bavardage mourut dans le silence de la petite maison endormie.

Et, aussitôt, deux coups, furent frappés à la cloison !... un peu moins forts que d’ordinaire, un peu moins nets, mais c’étaient eux !...

×××

Ses mains se crispèrent. Il entendit trembler sa mâchoire. Un flot de sueur glaciale l’étreignait. Après de longues secondes d’abjecte peur, il raisonna :

— Voyons, que je ne sois pas bête !... Elle est partie, je l’ai moi-même conduite en auto chez sa vieille cousine près de Sens, ha ! ha ! ha !... les voisins ont assisté au départ... ils pourraient en témoigner... je conduisais, elle était assise à ma droite dans son manteau beige... Nul ne sait mieux que moi, ha ! ha ! ha !... qu’elle est bien tranquille à deux cents kilomètres d’ici. Donc, elle ne peut pas frapper à la cloison !...

Et deux autres coups retentirent, plus secs — autoritaires !...

Son épouvante devint de la fureur. Il bondit debout dans une attitude combative, alla ouvrir brusquement la porte de la chambre à coucher, tourna un commutateur...

Il s’attendait voir sa femme accoudée sur l’oreiller dans ses cheveux blonds, à entendre sa voix plaintive dire : « Il est l’heure, mon chéri !... Ne te fatigue pas ! » ...Mais rien !.. Nulle évidence humaine... Le lit n’était pas défait... La chambre indifférente sommeillait... Il la visita minutieusement, il regarda sous le lit, il ouvrit la gardé-robe et tâta les robes pendues... Rien !... il faisait froid, voilà tout... une sorte de courant d’air... mais quand on a peur on a toujours froid...

Il revint dans le cabinet de travail, en respirant avec un peu plus de quiétude...

— Imaginaires, ces appels !... purement imaginaires !... Pourtant mes nerfs vont mieux... Enfin, je vais les guérir, maintenant... Marthe et moi on s’entendait bien au début de notre mariage... pourquoi sa voix est-elle devenue insupportable... et ses gestes aussi... et sa façon de s’habiller... et tout ce qui était d’elle ?... Et puis sa manie de m’amener à l’improviste des médecins spécialistes !... elle me faisait priver de café, de fine et de cigares... Et l’obstination qu’elle mettait à ne jamais me contredire !... cette douceur même était exaspérante... Heureusement que depuis hier !... Ha ! ha ! ha !...

Il avala plusieurs verres, d’alcool, goulûment.

Et l’on frappa encore à la cloison, deux fois... deux fois...

Il se jeta dans un coin, entre la bibliothèque et le mur, le plus loin possible de la cloison... Accroupi. pour tenir le moins de place possible, il grelottait... Le bruit de ses dents claquant ajoutait à sa terreur...

Les coups reprirent... Faibles d’abord, puis accentués, insistants... Ils avaient une personnalité...

— C’est elle !... bien elle... Je ne m’abuse pas... Quand c’est une hallucination, au fond je le sais... Il y a une petite voix qui m’avertit... Je sais toujours... Oui, Marthe est là dans la chambre... J’ai eu beau faire, elle est encore là pour m’exaspérer... Toujours ainsi... Ah ! comme j’ai eu raison, l’autre semaine, de la battre, de la rosser, de lui mettre le visage en sang !... Un cas net de légitime défense !... Elle n’a rien dit, d’ailleurs... Pour les domestiques, elle a prétendu s’être cognée dans un battant de porte... Depuis, ha ! ha ! ha !... Et la voilà qui s’obstine encore !... Comme j’ai eu raison !... Enfin, demain je pars, loin, seul... Elle ne me suivra pas...

×××

L’appel résonna encore à la cloison, péremptoire...

La colère fit battre ses tempes, mais il n’osa quitter son coin... Il eut juste l’audace de crier :

— Marthe !... Marthe !...

Le gémissement du vent au dehors lui répondit seul...

Et, après quelques secondes, les coups reprirent... irréguliers... timides, puis appuyés, comme lorsqu’il faisait semblant de ne pas les entendre et que sa femme insistait pour qu’il cesse de veiller.

— C’est bien elle... J’entends exactement... c’est une réalité objective... Rien d’imaginaire !... Mais si je pouvais croire que c’est de l’hallucination, je n’aurais plus peur !... Heureusement, l’alcool à bonne dose procure cette précieuse incertitude.

Il vida le flacon de cognac, le goulot dans la bouche, à grandes lampées bestiales. Il eut des flammes sous les paupières et une longue morsure à l’estomac...

Il entendit se briser clair à terre le flacon qu’il avait cru, reposer sur la table... Son souffle s’accélérait... De l’optimisme allait certainement lui revenir.. Tout cela n’était qu’un rêve... Depuis l’année dernière il voyait tant de choses, il entendait tant de bruits !...

De nouveaux coups à la cloison lui rappelèrent la réalité indiscutable, évidente, atroce... Ce fut de ragé que ses dents grincèrent...

— Elle va voir !... Elle n’aura pas le dernier mot !... Je suis le mari... Elle doit obéir... J’ai la loi avec moi !...

Il étendit les mains, décrocha le récepteur téléphonique et cria, répéta dans l’appareil : « La police !... la police !... la police !... » jusqu’à ce qu’une voix d’homme réponde enfin :

— C’est ici, qu’y a-t-il ?

Alors, avec un accent de repos :

— Monsieur, avant-hier, dans les bois de Fontainebleau, j’ai tué ma femme parce qu’elle me persécutait. Puis je l’ai jetée dans une mare, dévêtue soigneusement, liée à une grosse pierre... J’ai pris toutes les précautions et vous ne trouverez jamais le meurtrier... Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit... Ma femme est revenue chez moi... elle tape à la cloison... elle n’a pas le droit !... Veuillez venir l’en empêcher !...

..........

Après avoir fait emmener le misérable fou, l’inspecteur de police, qui écrivait son rapport dans le cabinet de travail, demanda à l’un de ses hommes ?

— Qu’est-ce donc que ces coups que j’entends à la cloison ?

L’autre répondit, après avoir examiné la chambre à coucher :

— Un carreau est brisé, au haut de la fenêtre, derrière les rideaux tirés... d’où un courant d’air avec la cheminée... Et quand le vent souffle plus fort, par saccades, cela fait taper contre la cloison le cadre le plus rapproché du carreau... Tenez, écoutez, en ce moment !...

Retrouvez cette nouvelle dans Histoires de fantômes une anthologie regroupant 27 nouvelles publiées entre 1826 et 1940 1940 .