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Rider Haggard : She 7

dimanche 13 décembre 2020, par Denis Blaizot


épisode précédent

Ce texte a été publié le 21 février 1920 1920 dans l’Excelsior. Et vous pouvez le retrouver aujourd’hui sur Gallica.
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SHE (ELLE) 7

Roman de M. RIDER HAGGARD

M. RIDER HAGGARD

V (suite)

Après son départ, nous discutâmes sur notre situation qui me remplissait d’alarmes. Je n’aimais nullement ces récits sur la reine mystérieuse qui ordonnait la mort des étrangers. Léo était, lui aussi, assez abattu ; mais il se consola en affirmait d’un air triomphant que « Celle qui doit être obéie » était sans doute la personne dont parlait la fameuse inscription traduite par son père. J’étais trop énervé par cette suite d’événements extraordinaires pour discuter une allégation aussi absurde, et je laissai tomber la conversation...

Sur ces entrefaites, la nuit était venue et la caverne se remplissait d’indigènes qui s’assemblaient autour du feu et prenaient leur repas du soir à la lueur d’une quantité, de lampes suspendues à la muraille ; ces lampes, quoique en faïence grossièrement travaillée, avaient néanmoins une forme assez gracieuse. Nos hôtes mangeaient en silence et, après les avoir contemplés quelque temps, je priai un vieillard, auquel Billali nous avait confiés, de vouloir bien nous montrer notre lit. Il se leva sans proférer une parole et, me prenant poliment par la main, il se dirigea vers un des petits couloirs que j’avais déjà remarqués. Après avoir fait environ cinq pas dans ce couloir, nous arrivâmes à une petite chambre d’environ huit pieds carrés [1], taillée à vif dans le roc. Sur l’un des côtés de la chambre se trouvait une dalle de pierre, occupant toute la longueur de la pièce, comme les lits dans les cabines de navire. Il n’y avait ni fenêtre, ni meuble quelconque ; et, en y regardant de plus près, j’acquis la conviction (justifiée, d’ailleurs, comme je l’appris plus tard) que cette pièce avait servi dans l’origine de sépulture pour les morts plutôt que de chambre à coucher pour les vivants, la dalle étant destinée à recevoir le corps du défunt. Cette pensée me fit frissonner malgré moi ; mais, comme il fallait bien coucher quelque part, je surmontai de mon mieux mes pénibles sensations et retournai chercher ma couverture qui avait été déposée dans la caverne avec nos provisions. Je rencontrai alors Job qui, introduit dans un appartement semblable, avait refusé d’y loger, disant qu’il préférerait être mort et enseveli dans la tombe de ses pères. Il m’exprima le désir de coucher avec moi, si je le permettais, et je fus naturellement trop heureux d’accéder à sa demande.

La nuit se passa, en somme, très confortablement. Je dis en somme car, pour ma part, j’eus un effroyable cauchemar, occasionné sans doute par l’aspect lugubre des objets qui m’entouraient : je rêvais que j’étais enterré tout vivant !...

À l’aurore, une trompette en corne d’éléphant donna le signal du réveil, et nous allâmes faire nos ablutions à un ruisseau voisin, après quoi on servit le repas du matin. Pendant le déjeuner, une femme, d’un âge déjà mûr, s’approcha de nous et baisa Job sur la bouche... Je n’oublierai jamais l’expression de terreur et de dégoût qui se peignit sur le visage de notre serviteur quand il se vit ainsi embrassé en public, devant ses maîtres et sans autorisation de sa part...

— Allez-vous-en, friponne, s’écria-t-il ! Je vous assure, messieurs, que je ne lui ai fait aucune avance, je suis un honnête homme... Ah ciel ! la voilà qui revient à la charge !

Il prit ses jambes à son cou et je vis les Amahagger rire pour la première fois. Quant à la femme, elle ne riait pas et paraissait, au contraire, en proie à une véritable fureur, qu’augmentaient encore les railleries des autres femmes ; j’envoyai au diable les scrupules de Job, pressentant que son admirable conduite mettrait notre vie en danger. Et je ne me trompais pas, comme on le verra par la suite.

La dame s’étant retirée, Job revint vers nous, fort nerveux et jetant un regard terrible à chaque femme qui s’approchait de lui. Je crus devoir expliquer à mes hôtes que Job était un homme marié, malheureux en ménage, ce qui expliquait sa présence ici et sa terreur à la vue des femmes, mais mes remarques furent accueillies par un silence glacial : la conduite de notre serviteur était évidemment regardée comme une insulte pour la « famille en général », quoique les femmes, à l’instar de leurs sœurs plus civilisées, s’égayassent de la déconvenue de leur compagne...

Les quatre jours suivants s’écoulèrent sans incident notable. L’origine et le régime politique de cette race bizarre nous intriguaient fort, mais nos hôtes étaient peu communicatifs sur ces divers points. Nous eûmes cependant, à la longue, quelques renseignements par Ustane, l’amie de Léo, qui suivait ce jeune gentleman comme son ombre. Sur l’origine de ses compatriotes, elle ne savait pas grand’chose ; il y avait cependant, nous dit-elle, près de l’endroit où résidait la reine, et qu’on appelait Koi, des fûts de colonnes et des restes de maçonnerie : ces débris, d’après les sages du pays, provenaient de maisons habitées jadis par des hommes, lesquels étaient peut-être les ancêtres des Amahaggers. Personne n’osait s’approcher des ruines, parce qu’elles étaient hantées. Les grottes où ils demeuraient avaient été aussi creusées dans le roc par des hommes qui avaient bâti la ville. Eux-mêmes n’avaient pas de loi écrite, mais seulement une coutume qui, du reste, avait force de loi. Si un homme enfreignait la coutume, il était mis à mort par ordre du « Père ». Je demandai alors à Ustane comment on le faisait mourir, et elle se contenta de sourire en disant que je le verrais peut-être bientôt.

Ce peuple étrange avait une reine, cependant. « Celle qui doit être obéie » était leur reine, mais on la voyait rarement, peut-être une fois en deux ou trois ans, quand elle venait juger quelques coupables ; elle était alors enveloppée d’un voile épais, et personne ne pouvait voir son visage. Ses serviteurs, sourds et muets, ne pouvaient rien dire sur son compte, mais on racontait qu’elle était séduisante comme aucune femme ne l’a jamais été. On faisait aussi courir le bruit qu’elle était immortelle et avait pouvoir sur toutes choses, mais elle, Ustane, ne savait rien à cet égard. Elle croyait seulement que la reine se choisissait un mari de temps en temps, et que ce mari était mis à mort dès que naissait un enfant du sexe féminin. Ensuite, l’enfant grandissait et prenait la place de la reine quand celle-ci mourait et était ensevelie dans les grottes. Tout ce que l’on pouvait affirmer, c’est que la souveraine actuelle était obéie dans tout le pays et que la moindre infraction à ses ordres était punie de mort. Elle avait une garde, mais pas d’armée régulière.

Je demandai quelle était l’étendue du pays, et combien il avait d’habitants. Elle me répondit qu’il y avait dix « familles » comme celle-ci et que toutes les « familles » vivaient dans des grottes, répandues sur une vaste étendue de marais qu’on ne pouvait traverser que par des chemins secrets. Ils n’avaient aucune relation avec n’importe quel peuple, et personne ne pouvait, d’ailleurs, franchir les marais.

— Nous aurions été incapables, ajout-a-t-elle, de parvenir jusqu’à cet endroit, si nous n’y avions été conduits...

Tout cela nous fit réfléchir... L’inscription du tesson de poterie était donc vraie ? Il semblait y avoir, en effet, une reine mystérieuse à qui la rumeur publique attribuait un pouvoir surhumain, et Léo était triomphant parce que je n’avais cassé de me moquer de toute cette histoire. Quant à Job, il était absolument dérouté et s’abandonnait au hasard des circonstances. L’Arabe Mohamed, que les Amahaggers traitaient pourtant avec égards, restait toute la journée accroupi dans un coin de la grotte, en proie à une grande frayeur que je ne pouvais m’expliquer ; tous ces hommes et ces femmes, prétendait-il, étaient de vrais démons, et, en vérité, je trouvai une fois où deux depuis qu’il avait bien raison...

Cependant le temps s’écoulait. Il y avait déjà quatre jours que Billali était parti, quand nous fûmes témoin d’un spectacle étrange. Nous étions assis avec Ustane au tour d’un feu allumé dans la grotte, et nous rêvions en silence... Tout à coup, la jeune femme se leva et, posant sa main sur les boucles dorées de Léo, lui adressa la parole. Même à présent, il me semble voir encore cette fière créature, éclairée par les flammes tremblotantes, et déclamant d’un ton prophétique une sorte de discours rythmé qui était à peu près conçu de la sorte :

— Tu es mon bien-aimé ! Il y a des siècles que je t’attends !

 » Tu es beau ! Qui a des cheveux semblables aux tiens ou une peau aussi blanche ? Qui a un bras aussi puissant ?

 » La lumière de tes yeux est comme l’étoile qui brille au firmament.

 » Tu es parfait et mon cœur s’est épris de toi.

 » Oui, quand mes yeux tombèrent sur toi, je te désirai, mon bien-aimé.

 » Et je t’ai serré sur mon cœur.

 » Et j’étais toute à toi, et tu étais tout à moi.

 » Et il en fut ainsi jusqu’à ce que le temps engendrât un jour funeste...

 » Alors, je lie te vis plus et je fus perdue dans les ténèbres.

 » Et celle qui est plus forte et plus belle, qu’Ustane s’empara de toi... Et alors — ah ! mon bien-aimé ! »

À suivre

RIDER HAGGARD.

(Traduit de l’anglais par M. Georges Labouchère.)


[1Comme d’habitude, comprendre un carré de 8 pieds de côté. :-(