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Adrien Vély : Petit roman policier

lundi 14 décembre 2020, par Denis Blaizot

Ce conte est paru dans l’excelsior du 28 avril 1920 1920 .
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— Mais enfin, dit la délicieuse Charlequine à Le Huchet, pourquoi veut-il que je le trompe ?

— Je vous ferai remarquer, ma chère amie, répondit Le Huchet, qu’il est à cent lieues de vouloir une telle chose...

— Oui, je sais... Et je m’exprime mal... Pourquoi suppose-t-il que je puisse jamais avoir l’idée de le tromper ?...

— Parce qu’il vous aime.

— Il pourrait bien m’aimer sans être jaloux.

— Justement, c’est cela qu’il ne peut pas...

C’était du financier Sermeuse qu’il était question dans cet entretien. Charlequine reprit :

— Voyons, je n’ai aucune raison de le tromper... D’abord, moi aussi, je l’aime bien... Et je n’ai ni le désir ni l’ambition d’en aimer un autre, puisque, grâce à lui, j’ai une existence assez agréable pour qu’il ne me reste rien de mieux à souhaiter.

— Il sait tout cela... Mais une âme inquiète n’est pas maîtresse de ses impulsions...

— Est-ce qu’il vous a chargé de me faire part de ces inquiétudes ?...

— Il ne m’a chargé de rien du tout... C’eût été de la naïveté, puisqu’il m’a donné mission de vous surveiller...

— Et vous avez accepté ?...

— Sermeuse est mon ami...

— Mais, moi aussi, je suis votre amie... Mes compliments... Vous consentez à vous charger d’un joli rôle...

— Un rôle délicat seulement... Et si j’ai bien voulu le jouer, c’est parce que je suis certain de ne vous trahir ni l’un ni l’autre...

— Par exemple !... Je suis curieuse de savoir comment vous vous y prendrez...

— D’un côté, j’ai la conviction que vous êtes irréprochable... Je n’aurai donc pas lieu de vous trahir auprès de Sermeuse... D’autre part, j’ai la conviction de ne pas le trahir auprès de vous en vous révélant ses projets, car ma surveillance s’exercera à votre insu... Je possède un tel talent pour me maquiller et me camoufler, que je vous mets au défi de jamais me reconnaître, quel que soit l’aspect que je prenne pour m’attacher à vos pas...

— Allons donc !... Je ne vous reconnaîtrai pas, moi !

— Vous ne me reconnaîtrez pas...

— Je parie que si !...

— Je parie que non...

— D’ailleurs, je n’ai rien à me reprocher...

— C’est justement ce que je viens de vous dire... Nous ne risquons donc rien, ni l’un ni l’autre, à tenter l’expérience... et l’aventure...

— Et, d’ailleurs, si je voulais jamais faire quelque chose de mal, vous perdriez votre temps et votre peine, puisque, quoique vous en disiez, je saurai toujours vous démasquer...

— C’est ce que nous verrons.

— C’est ce que nous verrons.

Après avoir échangé cette mutuelle provocation, la délicieuse Charlequine et Le Huchet se séparèrent. Et, dès le lendemain, Charlequine poursuivit le cours de son existence coutumière. Elle se levait tard, employait ses après-midi, quand elle ne recevait pas la visite de Sermeuse, à aller chez sa modiste, chez son tailleur, chez sa couturière, à courir les magasins de nouveautés, les thés et les dancings. Le soir, elle restait le plus souvent chez elle, à lire ou à s’absorber dans quelque ouvrage féminin. Elle ne changea donc rien i ses habitudes.

Mais elle s’aperçut tout de suite qu’elle était suivie, dans ses sorties et ses courses, par un monsieur âgé. Figure respectable, longue barbe blanche, lunettes d’or, mise impeccable, corps légèrement voûté, mais d’apparence encore vigoureuse. Elle ne pouvait plus faire un pas sans voir devant elle, ou à ses côtés, le monsieur âgé, ou sans pressentir qu’il trottait sur ses talons. Elle n’avait eu aucune peine à deviner, dès la première apparition, que le monsieur âgé n’était autre que Le Huchet. Malgré la perfection des postiches, la science du maquillage, l’art de se composer une attitude, c’étaient bien, et à ne s’y pas tromper, le regard, les traits et la démarche du jeune homme.

Au début, cette maladroite filature amusa beaucoup la délicieuse Charlequine. Mais, au bout de quelques jours, elle commença à l ’agacer. Et bientôt il lui parut insupportable de passer, aux yeux de Le Huchet, pour une femme naïve, que l’on abuse trop facilement. Si bien qu’un après-midi, n’y tenant plus, elle s’approcha délibérément du monsieur âgé et lui dit :

— Allons, Le Huchet, ce n’est plus la peine de continuer ce petit jeu... Vous avez perdu... Je vous ai reconnu depuis longtemps...

Le monsieur âgé parut interloqué, et répondit en soulevant son chapeau :

— Madame, en vérité, je ne sais ce que vous voulez dire...

— Voyons, voyons... La comédie a assez duré... Vous êtes bien Le Huchet...

— Vous faites certainement erreur, madame... Je ne suis pas la personne que vous croyez...

Ce fut le tour de Charlequine d’être interloquée... La voix qu’elle entendait n’était pas celle de Le Huchet... Elle reprit, avec un mouvement d’impatience :

— Mais alors, qui êtes-vous ?

— Un malheureux qui n’a pu vous voir sans subir la toute-puissance de votre beauté et de vos charmes... Je ne saurais plus vivre désormais, si je devais être privé d’un aussi adorable spectacle... Je ne demande rien d’autre...

— Alors vous n’êtes pas Le Huchet !...

— Je voudrais être cet homme, madame, puisque vous le connaissez... Mais je ne le suis point... Je vous en supplie, madame, ne me chassez pas de votre présence... Oh ! je ne me dissimule pas que je n’ai rien à espérer, ni à quoi prétendre... Mais s’il me fallait renoncer désormais à ce qui est devenu pour moi ma seule raison d’être, je sens bien que, malgré ma grande fortune, je n’aurais plus rien à faire ici-bas.

Charlequine jeta, à la dérobée, un regard autour d’elle... Rien de suspect... Et, gentiment :

— Voyons, il ne faut pas dire ces choses-là... Et, si vous promettiez d’être convenable...

— Ah ! tout ce que vous voudrez !...

— Eh bien ! on pourrait toujours prendre une tasse de thé ensemble.

A ce moment, elle sentit qu’on lui posait la main sur l’épaule. Elle se retourna brusquement, et vit une grosse femme en cheveux qui lui lança en pleine figure :

— Pincée !... Vous avez perdu !

C’était Le Huchet.

Adrien VELY.