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Rider Haggard : She 11

samedi 19 décembre 2020, par Denis Blaizot


épisode précédent

Ce texte a été publié le 25 février 1920 1920 dans l’Excelsior. Et vous pouvez le retrouver aujourd’hui sur Gallica.
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SHE (ELLE) 11

Roman de M. RIDER HAGGARD

VII (Suite)

Je m’endormis sur cette dernière réflexion... Quand je me réveillai, il commençait à faire jour et les porteurs se mouvaient comme des spectres à travers les brumes du matin, préparant tout pour le départ. Le feu s’était éteint, et je me levai et m’étirai, les membres glacés par l’humidité. Je tournai alors mes regards vers Léo. Il était assis, tenant sa tête dans ses mains, et je vis qu’il avait la face rougie et les yeux brillants avec un cercle jaune autour de la pupille.

— Eh bien. Léo, lui dis-je, comment vous sentez-vous ?

— Je me sens bien mal. répondit-il d’une voix rauque. Ma tête craque, et tout mon corps tremble.

En effet, Léo avait un violent accès de fièvre, et j’allai trouver Job pour lui demander de la quinine dont nous avions encore, heureusement, une bonne provision. Hélas ! notre serviteur n’allait guère mieux que Léo ; il se plaignait de douleurs dans le dos, de vertiges et il lui était presque impossible de s’aider lui-même. Je fis alors la seule chose qu’il fût possible de faire dans les circonstances actuelles. — je leur donnai à chacun environ dix centigrammes de quinine, et en pris moi-même une dose plus faible en guise de précaution. Après quoi, j’allai trouver Billali et le mis au courant de la situation en lui demandant ce qu’il y avait de mieux à faire selon lui. Il vint avec moi voir Léo et Job.

— Ah ! me dit-il, quand nous fûmes à quelque distance, la fièvre... Je m’en doutais. Le Lion est fortement atteint, mais il est jeune et se remettra sans doute. Quant à l’autre, son cas est moins grave ; ce n’est que la « petite fièvre » dont il souffre, et sa graisse en fera les frais.

— Peuvent-ils continuer leur route, mon père ? demandai-je.

— Oui, mon fils, ils doivent continuer. S’ils s’arrêtent ici, ils mourront certainement ; ils seront d’abord mieux dans les litières que sur le sol. Ce soir, si tout va bien, nous aurons franchi les marais et nous serons en bon air. Allons : portons-les dans les litières et partons, car c’est très malsain de rester immobile au milieu de ces brouillards du matin.

Je suivis son conseil et, quelques minutes après, commençait la seconde étape de notre étrange voyage. Pendant les trois premières heures, tout se passa aussi bien qu’on pouvait l’espérer, mais il arriva ensuite un accident qui faillit nous priver de la société de notre vénérable ami Billali, dont la litière tenait la tête de la cavalcade. Nous traversions une série de fondrières extrêmement dangereuses, où les porteurs enfonçaient parfois jusqu’aux genoux. En vérité, je me demandais comment ils pouvaient franchir le sol mouvant avec leur charge, quoique les deux suppléants, aussi bien que les quatre porteurs en titre, dussent soutenir les brancards sur leurs épaules. Soudain, tandis que nous nous débattions au milieu de ces difficultés, un cri perçant se fit entendre, puis une série d’exclamations, et enfin, un clapotement terrible, et toute la caravane s’arrêta.

Je me précipitai hors de ma litière. À vingt mètres environ devant moi se trouvait le bord de l’un de ces marais fangeux dont j’ai parlé. Le sentier que nous suivions courant le long de sa rive qui était fort escarpée. En tournant mes regards vers le marais, je vis à ma profonde horreur, la litière de Billali flotter à la surface et, quant à Billali lui-même, on ne le voyait nulle part. Bref. voici ce qui était arrivé. Un des porteurs de Billali avait malheureusement marché sur un serpent qui l’avait piqué à la jambe, et il avait lâché le brancard, puis s’était cramponné à la litière, sentant, qu’il dégringolait en bas du talus. La litière avait alors été précipitée sur la pente, les porteurs l’avaient lâchée et le tout, y compris Billali et l’homme piqué par le serpent, avait roulé dans le marais. Quand je m’approchai de l’eau, on ne voyait plus personne, et le fait est que l’infortuné porteur ne reparut jamais. Quant à Billali, bien qu’on ne pût le voir, sa présence se manifestait néanmoins par des mouvements désordonnés de la litière : « Il est là ! notre père est là ! » dit un des hommes, mais aucun d’eux ne songea à lui porter secours, et ils se bornèrent à contempler l’eau.

— Laissez-moi passer ! brutes que vous êtes ! m’écriai-je en anglais et, ôtant mon chapeau, je me précipitai dans le marais fangeux. Deux ou trois brasses m’amenèrent à l’endroit où Billali se débattait sous la toile.

Je parvins à le dégager, je ne sais pas au juste comment, et sa vénérable tête, couverte de fange verdâtre, comme celle d’un Bacchus couronné de lierre, émergea à la surface de l’eau. Le reste fut facile, car Billali eut le bon sens de ne pas se cramponner à moi, comme le font d’habitude les noyés, et je pus le prendre par le bras et le remorquer jusqu’à la rive, fangeuse, d’où l’on nous retira avec difficulté. Je n’ai jamais vu de spectacle aussi dégoûtant que celui que nous offrions, et on aura peut-être une idée de la majesté surhumaine de Billali quand je dirai que, toussant, à demi noyé, couvert de boue verdâtre, il avait encore l’air vénérable et imposant.

— Misérables ! dit-il aux porteurs, dès qu’il eut la force de parler vous m’avez abandonné, moi, votre père ! Sans cet étranger, je me serais certainement noyé. Eh bien ! je m’en souviendrai !

Et il leur lança un regard qui ne leur plut guère, malgré leur apparente indifférence.

— Quant à toi, mon fils, ajouta-t-il en se tournant vers moi et en me serrant la main, sois assuré que je resterai ton ami dans les bons comme dans les mauvais jours. Tu m’as sauvé la vie : peut-être pourrai-je un jour te rendre la pareille.

Là-dessus, après nous être nettoyés de notre mieux et avoir repêché la litière, nous reprîmes tous notre voyage, moins l’homme qui avait été noyé. Est-ce par égoïsme et indifférence, ou à cause de son mauvais caractère ? Toujours est-il que personne ne sembla s’affliger de sa perte, sauf peut-être les hommes qui étaient obligés de faire sa part de travail.

VIII

Une heure environ avant le coucher du soleil, nous sortions, à ma grande satisfaction, de la région des marais, pour atteindre un pays montagneux et ondulé comme les vagues de l’Océan. Nous nous arrêtâmes sur une des crêtes pour y passer la nuit. Mon premier soin fut d’examiner l’état de Léo. La maladie s’était encore aggravée depuis le matin, et, fâcheux symptôme, les vomissements se déclarèrent bientôt, continuant jusqu’à l’aurore. Je ne pus fermer l’œil cette nuit-là, car je la passais à seconder Ustane, qui veillait auprès de Léo et de Job avec un zèle infatigable. Cependant, l’atmosphère était agréable, et il n’y avait plus de moustiques ; en outre, nous avions dépasse le niveau des brouillards, qui s’étendaient à nos pieds comme la fumée au-dessus une cité, éclairés çà et là par les lueurs errantes des feux follets. On voit donc que nous étions relativement en paradis.

Le lendemain, à l’aurore, Léo était en proie au délire, et, cruellement préoccupé, je commençai à me demander quelle serait la fin de ce terrible accès ! Hélas ! je ne savais que trop comment ces accès se terminaient d’habitude ! Sur ces entrefaites, Billali vint me dire qu’il fallait continuer notre route, d’autant plus que Léo n’en avait peut-être pas pour deux ou trois jours, s’il n’atteignait dans les douze heures un endroit où l’on pût le soigner convenablement. C’était aussi mon avis, et nous repartîmes aussitôt, Ustane marchant à côté de Léo pour le protéger contre les mouches, et l’empêcher de se jeter hors de sa litière. Une demi-heure avant le lever du soleil, nous avions atteint le point culminant de la région dont j’ai parlé, et un magnifique spectacle s’offrit à nos regards. À nos pieds s’étendait une contrée florissante, parsemée de fleurs et d’arbustes verdoyants. Dans le fond, à dix-huit milles environ de l’endroit où nous nous trouvions, une montagne extraordinaire et gigantesque se dressait au milieu de la plaine. La base de cette montagne semblait consister en une pente de gazon, au-dessus de laquelle s’élevait une muraille abrupte, haute de douze ou quinze cents pieds. La montagne, qui était certainement d’origine volcanique, avait une forme arrondie, et comme on n’en voyait naturellement qu’une partie, il était difficile d’évaluer au juste sa dimension. Je découvris plus tard qu’elle devait couvrir au moins cinquante milles carrés. Je n’ai jamais vu spectacle plus imposant que cet immense château naturel, se dressant au milieu de la plaine dans sa grandeur solitaire. Son isolement même ajoutait à sa majesté, et ses sommets vertigineux semblaient rejoindre le ciel. La cime était généralement enveloppée de nuages qui reposaient en masses floconneuses sur les flancs de la montagne.

Je me soulevai dans mon hamac pour admirer ce spectacle majestueux et émouvant, et je crois que Billali s’en aperçut, car il se rapprocha de moi.

— Voici la maison de « Celle qui doit être obéie », dit-il. Jamais reine eut-elle un pareil trône ?

— C’est admirable, mon père, répondis-je. Mais comment entrons-nous ? Ces pentes semblent difficiles à gravir.

— Tu verras, mon fils. Regarde, maintenant, la plaine qui s’étend à nos pieds. C’était jadis un grand lac, que les habitants desséchèrent, en faisant écouler l’eau par ce canal dont tu vois les restes.

Et il me montra une ligne droite qui se dessinait vaguement au milieu de la verdure.

— Le lac une fois desséché, ajouta Billali, le peuple, dont je t’ai parlé, bâtit sur son emplacement une puissante cité. dont il ne reste que des ruines et le nom de Kôr, et d’âge en âge creusa les grottes et les couloirs que tu verras.

À suivre

RIDER HAGGARD.

(Traduit de l’anglais par M. Georges Labouchère.)