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Rider Haggard : She 17

lundi 21 décembre 2020, par Denis Blaizot


épisode précédent

Ce texte a été publié le 2 mars 1920 1920 dans l’Excelsior. Et vous pouvez le retrouver aujourd’hui sur Gallica.
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SHE (ELLE) 17

Roman de M. RIDER HAGGARD

XI

Il était près de 10 heures du soir quand je me jeta, sur mon lit, en proie à la plus vive émotion. Je tâchai de réfléchir à tout ce que j’avais vu et entendu, mais plus je réfléchissais, moins je comprenais. Étais-je ivre, ou bien fou ? Étais-je simplement victime d’une colossale mystification ? Comment se pouvait-il que moi, un savant versé dans l’histoire du monde, et plein de mépris pour ce fatras qu’on appelle le surnaturel, j’eusse été engagé dans un entretien avec une femme âgée de deux mille ans ? C’était contraire à toutes les expériences de la nature humaine, et il n’y avait certainement ta qu’une mystification. Toutefois, la beauté surnaturelle de cette femme était un fait patent, indéniable. et, comme elle me l’avait dit, il était dangereux pour un homme de contempler un pareil visage 1 J’étais fort endurci en pareille matière et, sauf une pénible expérience de ma tendre jeunesse, j’avais presque entièrement chassé le beau sexe de mes pensées. Mais maintenant, à ma terreur profonde, je sentais que je ne pourrais jamais oublier ces yeux étincelants, et l’aspect diabolique de cette femme m’attirait encore plus qu’il ne me repoussait... Une personne âgée de deux mille ans, et possédant le secret de tenir la mort à distance, méritait certes qu’on s’éprît d’elle ! Mais, hélas ! il ne s’agissait pas de savoir si oui ou non elle le méritait, car moi, homme sérieux et d’un âge mûr, j’étais éperdument amoureux de cette blanche sorcière. Maudite soit la curiosité fatale qui pousse l’homme, à ôter le voile de la femme ! Cette curiosité est la cause de presque tous nos maux !

Et puis moi, à mon âge, devenir la victime de cette moderne Circé ! Il est vrai qu’elle n’était guère moderne, il ce qu’elle prétendait, du moins ; elle était presque aussi ancienne que la première Circé !...

Je m’arrachai les cheveux, et je sautai à bas de mon lit, sentant que je deviendrais fou si je ne faisais pas quelque chose. Mais, qu’avait-elle voulu dire au sujet du scarabée ? C’était le scarabée de Léo, et nous l’avions retiré du coffret que Vincey avait laissé dans ma chambre environ vingt et un ans auparavant. L’histoire était-elle donc vraie après tout. et Léo était-il l’homme qu’Ayesha attendait, le mort qu. devait renaître. Mais non, le tout n’était qu une farce ? Qui a jamais entendu parler d’un homme né deux fois ?

Toutefois, s’il était possible qu’une femme vécût deux mille ans, ceci était possible également — tout était possible ; moi-même, j’étais peut-être la réincarnation de quelque ancêtre oublié. L’idée me parut si absurde que j’éclatai de rire, et m’adressant à un guerrier sculpté sur la paroi de la grotte : « Qui sait, mon vieux camarade, m’écriai-je, nous étions peut-être contemporains. Peut-être ne faisons-nous qu’une seule et même personne ! » Là-dessus, je me mis à rire de nouveau et mon rire me sembla résonner d’une façon sinistre ! L’instant d’après, je réfléchis que je n’avais pas encore été voir comment se trouvait Léo, et, prenant une des lampes qui brûlaient au chevet de mon lit, j’ôtai mes souliers et rampai à travers le couloir jusqu’à l’entrée de sa chambre. J’aperçus alors Léo couché sur son lit et dormant d’un sommeil fiévreux. À ses côtés, se trouvait Ustane, à moitié couchée sur le plancher, à moitié appuyée contre le lit de pierre. Elle tenait la main de Léo dans la sienne, et sommeillait, elle aussi ; les deux jeunes gens formaient un tableau gracieux et touchant. Pauvre Léo ! Ses joues étaient d’un rouge vif, il respirait péniblement, un cercle noir se dessinait sous ses yeux... Il était malade, très malade, et je crus de nouveau que sa dernière heure était arrivée.

Cette pensée me remplit d’angoisses et pourtant, si Léo vivait, il serait sans doute mon rival auprès d’Ayesha ; même s’il n’était pas l’homme prédestiné, quelle chance aurais-je, moi, vieilli et hideux, contre sa brillante jeunesse et sa beauté ? Heureusement, Ayesha n’avait pas encore tué en moi la notion du bien et du mal, et je priai Dieu de sauver cet enfant, mon fils bien-aimé !... Je m’éloignai aussi doucement que j’étais venu ; mais je ne pus dormir ; la vue de Léo couché sur son lit de douleur n’avait fait qu’augmenter mon trouble et des visions, des idées étranges, de vagues souvenirs du passé vinrent assiéger mon esprit. Au-dessus de toutes ces rêvasseries planaient la silhouette de cette terrible femme et le souvenir de son ensorcelante beauté. Je faisais sans discontinuer les cent pas dans la grotte.

Soudain, j’observai qu’il y avait dans la paroi du rocher une étroite ouverture dont je ne m’étais pas encore aperçu. Je pris la lampe et l’examinai ; l’ouverture conduisait à un couloir. Ceci piqua ma curiosité, et je voulus voir où aboutissait le couloir en question. Il conduisait à un escalier de pierre, que je descendis ; l’escalier finissait près d’un autre couloir, ou plutôt tunnel, creusé, autant que je pus en juger, sous la galerie qui conduisait à l’entrée de nos chambres. Je m’engageai dans le tunnel : il était silencieux comme un tombeau, et cependant je poursuivis ma route, entraîné par une force mystérieuse. J’avais parcouru environ cinquante mètres, quand il m’arriva un terrible accident : le courant d’air qui soufflait violemment éteignit ma lampe, me laissant dans une obscurité profonde, au milieu de ce terrible souterrain. Que faire ? Je n’avais pas d’allumettes ; il était difficile de tenter ce long voyage de retour à travers les ténèbres, et pourtant je ne pouvais rester là toute la nuit, ce qui serait d’ailleurs inutile, car dans les entrailles du rocher, on n’y verrait pas mieux à midi qu’à minuit. Je sondai du regard les ténèbres et, à une assez grande distance, j’aperçus une faible lueur. Peut-être était-ce une grotte où je pourrais me procurer de la lumière — en tout cas, ce n’était pas à négliger. Je me glissai lentement et péniblement à travers le tunnel, posant mes pieds avec précaution, de peur de tomber dans quelque trou. Trente pas, il y avait une lumière qui allait et venait derrière une tapisserie ! Cinquante pas — j’étais tout, près ! Soixante — grands dieux !

J’étais arrivé à la tapisserie et, comme elle était entr’ouverte. je pouvais voir aisément l’intérieur de la petite caverne. Celle-ci avait exactement l’aspect d’un tombeau, et était éclairée par un feu qui brûlait avec une flamme blanchâtre et sans fumée. À gauche, on remarquait une dalle en pierre avec un petit rebord haut d’environ trois pouces, et sur cette dalle, je crus voir un cadavre recouvert d’une sorte de linceul blanc. Sur le feu se penchait une femme, enveloppée dans un sombre manteau semblable à un vêtement de nonne. Elle se tenait en face du cadavre, et semblait contempler la flamme vacillante. Soudain, tandis que je me demandais ce qu’il fallait faire, elle se leva d’un mouvement convulsif et rejeta loin d’elle le sombre vêtement...

C’était Ayesha en personne !...

Elle était vêtue de la même robe blanche que je lui avais déjà vue, et sa chevelure noire retombait sur ses épaules en boucles épaisses. Mais ce qui me frappa le plus, ce fut l’expression absolument terrifiante de son visage. L’agonie, la passion aveugle, le désir de vengeance qui se peignaient sur ces traits bouleversés, dans ces yeux injectés de sang, défiaient toute description.

Elle se tenait immobile, les bras levés au-dessus de sa tête et, au même instant, sa robe blanche glissa jusqu’à sa ceinture dorée, dévoilant aux regards ses formes éblouissantes. Elle se dressait là, devant moi, les poings crispés, les traits contractés par une fureur diabolique.

Soudain, je me demandai ce qui arriverait si elle venait à découvrir ma présence, et cette pensée me fit frissonner ; supposé qu’elle m’entendit, ou qu’elle m’aperçût, ma dernière heure aurait certainement sonné.

À suivre

RIDER HAGGARD.

(Traduit de l’anglais par M. Georges Labouchère.)