Accueil > Ebooks gratuits > Rider Haggard : She > Rider Haggard : She 24

Rider Haggard : She 24

mardi 22 décembre 2020, par Denis Blaizot


épisode précédent

Ce texte a été publié le 9 mars 1920 1920 dans l’Excelsior. Et vous pouvez le retrouver aujourd’hui sur Gallica.
Ebooks gratuits
Des Epub et Pdf faits avec soin pour vous faire redécouvrir des œuvres anciennes tombées dans le domaine public.

SHE (ELLE) 24

Roman de M. RIDER HAGGARD

XIX

Il y eut ensuite un silence, le plus pénible que j’aie jamais enduré. Ayesha fut la première à le rompre, et, s’adressant à Léo :

— Allons ! monseigneur et mon hôte, dit-elle de sa voix la plus douce, qui résonnait cependant comme l’airain, n’aie pas l’air si troublé ! C’était vraiment un charmant spectacle — le léopard et le lion !

— Que le diablt l’emporte ! dit Léo en anglais.

— Et toi, Ustane, continua-t-elle. Je ne t’aurais certainement pas aperçue sans la lueur qui éclairait ta chevelure.

Et elle désigna la Lune qui se levait maintenant à l’horizon.

— La danse est finie, les bougies sont éteintes, et tout est plongé dans le silence... C’est le moment propice pour l’amour, n’est-ce pas, Ustane ? Et moi qui te croyais déjà loin, ne pouvant m’imaginer que tu me désobéirais !

— Ne te moques pas de moi, murmura la pauvre créature, tue-moi, et que ce soit fini !

— Allons donc ! il ne fait pas bon à passer si vite de la chaleur de l’amour au froid du tombeau !

Et elle fit un signe aux muets, qui s’avancèrent et saisirent la jeune fille chacun par un bras. Aussitôt, Léo se précipita sur l’esclave le plus rapproché de lui, et, le jetant violemment à terre, le maintint sous lui en le menaçant du poing.

Ayesha sourit de nouveau :

— Bravo ! mon hôte, tu as un bras vigoureux pour un convalescent ! Mais je te supplie d’épargner cet homme et de le laisser exécuter mes ordres. Il ne fera aucun mal à la jeune fille ; l’air se refroidit, et je voudrais la recueillir chez moi. Ta favorite sera aussi la mienne.

Je pris Léo par le bras et lui fis lâcher sa victime, sans résistance de sa part. Nous nous dirigeâmes alors vers la grotte en traversant le plateau, où un monceau de cendres humaines était tout ce qui restait du feu qui avait éclairé la danse, car les danseurs étaient partis.

Peu de temps après, nous atteignions le boudoir d’Ayesha, beaucoup trop tôt à mon gré, car j’avais un lugubre pressentiment de ce qui allait se passer.

Ayesha s’assit sur son divan, et ayant renvoyé Job et Billali, ordonna par signe aux esclaves d’allumer des lampes et de se retirer tous, sauf une jeune fille qui était sa servante favorite. Nous restâmes debout, nous trois, la malheureuse Ustane se tenant un peu à l’écart.

— Eh bien ! Holly, commença Ayesha, comment se fait-il que toi, qui m’as entendu ordonner à cette criminelle (et elle désigna Ustane) de sortir d’ici ; toi, à la prière duquel j’ai eu la faiblesse de l’épargner, comment se fait-il, dis-je, que tu aies pris part à ce que j’ai vu ce soir ? Réponds, et, dans ton intérêt même, dis toute la vérité, car je ne suis pas d’humeur à tolérer des mensonges en cette affaire !

— C’était l’effet du hasard, ô reine, répondis-je. J’ignorais tout...

— Je te crois, ô Holly, répondit-elle froidement, et c’est bien heureux pour toi ! Tout le poids de la faute retombe donc sur elle !

— Je ne vois là aucune faute. interrompit Léo. Elle n’était pas mariée, et elle m’a épousé, paraît-il, suivant la coutume de ce triste pays ; ainsi donc, où est le mal ? En tout cas, madame, continua-t-il, ce qu’elle a pu faire, je l’ai fait moi aussi, et si elle est punie, je dois l’être également ; et je te préviens, continua-t-il en prenant un air furieux, que si tu ordonnes à l’un de ces coquins de la toucher encore, je le mettrai en pièces ! Et il semblait prêt à exécuter sa menace.

Ayesha l’écouta dans un silence glacial, et sans rien répliquer. Quand il eut fini, néanmoins, elle s’adressa à Ustane.

— As-tu quelque chose à dire, femme ? Toi qui espérais, faible brin de paille, flotter paisiblement vers le but de ta passion, et affronter le vent de ma colère ! Dis-moi : pourquoi as-tu fait cela ?

J’eus alors sous les yeux un exemple éclatant de courage moral et d’intrépidité. La pauvre créature, sachant ce qu’elle avait à attendre de sa terrible souveraine, sachant aussi, par une cruelle expérience, quel était le pouvoir de son adversaire, trouva, dans la profondeur même de son désespoir, la force de la braver.

— Je l’ai fait, ô reine, répondit-elle en se redressant de toute sa hauteur, parce que mon amour est plus puissant que le tombeau. Je l’ai fait, parce que la vie me serait intolérable sans cet homme que mon cœur a choisi ! Aussi, ai-je risqué ma vie, et, malgré ton courroux, je suis heureuse de l’avoir risquée, et de me sacrifier maintenant, parce qu’il m’a embrassée, et m’a dit qu’il m’aimait encore !

Ayesha se souleva sur son divan, mais se rassit aussitôt.

— Je ne suis pas sorcière, continua Ustane d’une voix sonore, et je ne suis point une reine immortelle, mais le cœur d’une femme n’est pas facile à vaincre, ô reine, et les yeux d’une femme savent voir, même à travers ton voile, ô reine !

 » Écoute : Je le sais, tu aimes toi-même cet homme et tu voudrais me massacrer parce que je me trouve en travers de ton chemin ! Oui, je succombe, j’entre dans les ténèbres de la mort, je ne sais pas où je vais... Mais il y a une lumière qui brilla dans mon cœur et, grâce à cette lumière l’avenir se déroule devant moi !... Quand j’ai vu pour la première fois mon seigneur et maître, dit-elle en montrant Léo, je savais que ma mort serait son cadeau de noces et, pourtant, je ne reculai pas, décidée à payer le prix de mon bonheur, et voici que la mort s’approche... Toutefois, au moment de franchir les portes du trépas, je déclare que tu ne recueilleras pas les profits de ton crime. Il est à moi, et quoique ta beauté brille comme un soleil au milieu des étoiles, il sera toujours à moi ! Jamais il ne te donnera ici-bas le nom d’épouse, toi aussi tu es condamnée, je vois, ajouta-t-elle avec l’accent d’une prophétesse inspirée, ah ! je vois...

Un cri de rage et d’épouvante l’interrompit soudain. Je me retournai. Ayesha s’était levée et tendait le bras vers Ustane dont le visage avait une expression de terreur vague qui vous impressionnait jusqu’au fond de l’âme. Ses yeux s’agrandissaient, ses narines se dilataient, ses lèvres pâlissaient.

Ayesha se redressa sans proférer un mot, et, tremblant comme une feuille, elle sembla regarder fixement sa victime. Au même instant, Ustane porta les mains à sa tête, jeta un cri perçant, tourna deux fois sur elle-même, puis s’affaissa sur le plancher avec un bruit sourd. Léo et moi, nous nous précipitâmes vers elle ; elle était raide, morte, frappée à mort par un fluide électrique ou par quelque force mystérieuse dont Ayesha disposait...

À cette vue, Léo, rempli de fureur, se précipita sur Ayesha en lançant un horrible juron. Mais elle était sur ses gardes et, le voyant venir, elle étendit de nouveau le bras ; il recula vers moi en chancelant, et serait même tombé, si je ne l’avais retenu. Il me dit plus tard qu’il avait ressenti comme un coup violent asséné dans sa poitrine, et qu’une sorte d’énervement avait envahi tout son être.

À suivre

RIDER HAGGARD.

(Traduit de l’anglais par M. Georges Labouchère.)