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Rider Haggard : She 28

mercredi 23 décembre 2020, par Denis Blaizot


épisode précédent

Ce texte a été publié le 13 mars 1920 1920 dans l’Excelsior. Et vous pouvez le retrouver aujourd’hui sur Gallica.
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SHE (ELLE) 28

Roman de M. RIDER HAGGARD

XXI (Suite)

Les muets nous introduisirent comme d’habitude, et quand ils se furent retirés, Ayesha ôta son voile, et invita de nouveau Léo à l’embrasser, ce qu’il fit avec plus d’ardeur que ne le requérait la stricte courtoisie, malgré ses scrupules et ses remords de la nuit précédente.

Elle posa sa blanche main sur la tête de Léo, et le regarda tendrement dans le blanc des yeux :

— Tu te demandes sans doute Kallikratès, dit-elle, quand tu pourras m’appeler ton épouse, et quand nous ne ferons plus qu’un ? Je vais te le dire. D’abord, tu dois être comme je suis — non pas immortel, car je ne le suis point, — mais endurci et fortifié contre les attaques du temps dont les flèches se briseront sur l’armure puissante de ta vie !

 » Je ne puis encore m’unir à toi, car toi et moi nous sommes différents, et l’éclat même de ma personne te consumerait, et te ferait peut-être périr. Tu ne pourrais même pas me regarder longtemps sans que tes yeux ne souffrent, que tes sens ne soient bouleversés ; aussi, vais-je remettre mon voile (elle n’en fit rien, soit dit en passant...) Mais, écoute-moi : tes épreuves ne seront pas de longue durée, car ce soir même, une heure avant le coucher du Soleil, nous partirons d’ici, et demain soir, si tout va bien, et que je n’aie pas oublié le chemin, nous gagnerons le siège de la vie, et tu te baigneras dans le feu, et en sortiras glorifié, comme personne ne l’a été avant toi ; alors, Kallikratès, tu m’appelleras ta femme, et je t’appellerai mon mari !

 » Et à toi aussi, Holly, continua-t-elle, je veux te conférer cet inestimable bienfait, car tu m’as plu, et bien que ta philosophie ressemble trop à celle des sages de la Grèce, tu sais encore tourner une jolie phrase sur les beaux yeux d’une femme !

— Hein ! mon vieux ! murmura Léo, en reprenant son ancienne gaieté, vous lui avez donc fait des compliments ? Je n’aurais jamais cru cela de vous !

— Je te remercie, Ayesha, répondis-je d’un ton solennel ; mais je n’ai pas rencontré assez de bonheur en ce monde, pour vouloir y rester éternellement ! La Terre est une marâtre, et donne à ses enfants, pour leur nourriture journalière, des pierres au lieu de pain ! Qui voudrait endurer ce supplice pendant plusieurs générations ? Quel pénible fardeau que le souvenir des heures perdues, des vaines amours, des chagrins du voisin qu’on est impuissant à consoler ! Il est dur de mourir parce que notre esprit recule devant le redoutable inconnu ; mais il serait encore bien plus dur de vivre éternellement, le cœur rongé par les angoisses et les souffrances du passé ! Non, non, ô reine, je veux vivre et vieillir comme tous les autres hommes de mon temps, mourir au jour fixé, et tomber dans l’oubli ! Car j’espère en une immortalité auprès de laquelle le faible laps de temps que tu peux m’accorder n’est qu’un fétu de paille ! Oui, l’immortalité que ma Foi me promet sera affranchie de tous les liens qui enchaînent ici-bas mon esprit ! Car, tant que la chair subsiste, le chagrin et le mal subsistent également ; mais, une fois délivré de la chair, l’esprit s’élève vers des régions si éthérées que les plus sublimes aspirations de l’humanité, l’encens le plus pur des prières d’une vierge, ne peuvent y trouver place !

— Tu as de hautes visées, dit en riant Ayesha, et ta voix résonne comme une trompette. Mais, cet « Inconnu », dont tu parlais tout à l’heure, peut-être ne le vois-tu qu’avec les yeux de la foi et dans le miroir de ton imagination. Ah ! les hommes se font ainsi d’étranges idées de l’avenir, et cela, sans pouvoir s’accorder entre eux !... Un jour viendra peut-être, ô Holly, où tu regretteras amèrement d’avoir rejeté le bienfait inappréciable que je voulais te conférer ! Mais il en a toujours été ainsi ; l’homme ne s’est jamais contenté de ce qu’il avait sous la main ; une lampe est à sa portée, il la jette de côté, parce que ce n’est pas une étoile ! Tu crois pouvoir saisir l’étoile, mon cher Holly : eh bien ! tu es un insensé de ne pas te contenter de la lampe !

Je ne répondis rien, car je ne pouvais, surtout devant Léo, lui dire que son visage serait toujours présent à ma mémoire et que je n’avais aucun désir de prolonger une existence qui serait toujours hantée et torturée par son souvenir, et par l’amertume de l’amour inassouvi ! Et pourtant, hélas ! c’était vrai, et c’est encore vrai à l’heure actuelle !

— Maintenant, continua Ayesha en changeant tout à la fois de ton et de sujet, dis-moi, Kallikratès, comment êtes-vous venu me chercher ici ? Hier soir, tu m’as dit que Kallikratès — celui que tu as vu — était ton ancêtre. Comment cela se fait-il ? Dis-le-moi, car tu ne parles guère.

Léo lui raconta alors l’étonnante histoire du coffret et de l’inscription tracée par son ancêtre, l’Égyptienne Amenartas. Ayesha l’écouta attentivement et, quand il eut fini, m’adressa ces paroles :

— Ne t’ai-je pas dit un jour, ô Holly, que souvent le bien engendrait le mal, et le mal le bien ? Vois maintenant : cette Amenartas, cette fille du Nil qui me haïssait, et que je hais même à présent, car elle m’a vaincue, en quelque sorte, Amenartas elle-même a jeté son amant dans mes bras ! C’est à cause d’elle que je l’ai massacré et maintenant c’est elle qui me le ramène ! Elle avait voulu me faire tout le mal possible, et elle m’a donné plus que le monde entier ne peut donner !

 » Ainsi donc, continua-t-elle au bout d’un moment, elle avait ordonné à son fils de me détruire s’il le pouvait, parce que j’avais massacré son époux ! Et toi, cher Kallikratès, tu es le père, et aussi en quelque sorte le fils ; eh bien ! veux-tu te venger ? Veux-tu venger ta mère, ô Kallikratès ? Vois (et elle glissa sur ses genoux, découvrant son sein blanc comme la neige), vois, c’est ici que bat mon cœur, et à ton côté pend un couteau long et aigu, le couteau même qu il faut pour égorger une femme coupable ! Prends-le et frappe ! De la sorte, tu seras satisfait, Kallikratès, et tu vivras heureux, car tu auras puni le crime et acquitté la dette du passé ! »

À suivre

RIDER HAGGARD.

(Traduit de l’anglais par M. Georges Labouchère.)