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Rider Haggard : She 31

mercredi 23 décembre 2020, par Denis Blaizot


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Ce texte a été publié le 16 mars 1920 1920 dans l’Excelsior. Et vous pouvez le retrouver aujourd’hui sur Gallica.
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SHE (ELLE) 31

Roman de M. RIDER HAGGARD

XXIII (Suite)

Ayesha nous appela, et il nous fut assez difficile de la rejoindre ; mais le spectacle qui s’offrit à nos yeux nous dédommagea amplement de nos peines. Devant nous s ouvrait un gouffre gigantesque qui avait dû être creusé dans le roc par quelque terrible convulsion de la nature. Il nous était impossible de mesurer la largeur exacte de cet abîme, ni d’en déterminer au juste les contours, car le point où nous nous trouvions était si encaissé, qu’un faible rayon de lumière parvenait seul jusqu’à nous. À l’orifice de la caverne que nous venions de traverser, une roche bizarre se dressait dans les airs, et, surplombant le gouffre, ne pouvait être mieux comparée qu’à l’éperon d’un coq. Cette roche, entièrement isolée, n’était rattachée que par sa base aux flancs de la montagne.

— C’est ici que nous devons passer, dit Ayesha. Prenez garde que le vertige ne s’empare de vous, ou que le vent ne vous entraîne, car ce gouffre n’a pas de fond.

Et, sans nous donner davantage le temps de réfléchir, elle s’élança le long de l’éperon, nous invitant à la suivre. Je marchais immédiatement derrière elle, puis venait Job, traînant péniblement sa planche, tandis que Léo formait l’arrière-garde. C’était merveilleux de voir cette femme intrépide glisser sans crainte au milieu de tous ces abîmes. Quant à moi, je n’avais pas fait quelques pas, que je dus ramper sur mes genoux et mes mains, tant le chemin était difficile, et mes deux compagnons ne tardèrent pas à m’imiter.

Cependant Ayesha poursuivait sa route, bravant les rafales de vent et conservant tout son sang-froid.

Nous avions fait environ vingt pas sur ce terrible pont, qui se rétrécissait de plus en plus, quand une forte rafale de vent vint soudain balayer la gorge. Ayesha tint bon, mais le vent s’engouffra dans son manteau, et le déchira en mille morceaux qui s’envolèrent dans les airs. Cramponné au rocher, je promenai mes regards autour de moi, tandis que le gigantesque éperon semblait vibrer sous le coup de la tempête. Nous nous trouvions littéralement entre ciel et terre, et le spectacle était vraiment épouvantable : sous nos pieds, un abîme dont on ne pouvait sonder la profondeur, au-dessus de notre tête, des espaces et des espaces qui donnaient le vertige... Et, le long des parois du gouffre immense, l’ouragan mugissait avec fureur, chassant des nuages et des colonnes de vapeur qui nous aveuglaient. Notre position était si infernale, que maintenant encore j’en rêve souvent la nuit !

— En avant, en avant ! cria Ayesha qui, simplement vêtue de blanc maintenant que son manteau s’était envolé, avait l’air d’un esprit traversant la tempête. En avant, ou vous tomberez et serez réduits en miettes ! Tenez vos yeux fixés sur le sol, et cramponnez-vous aux rochers !

Nous suivîmes son conseil et continuâmes à ramper péniblement, nous retournant seulement de temps en temps. quand c’était absolument nécessaire ; après une assez longue marche, nous nous trouvions enfin au sommet de l’éperon, quartier de roche à peine large comme une table ordinaire, et que l’ouragan faisait trembler sur sa base... Nous restions là, couchés sur l’estomac, et nous cramponnant au sol, tandis qu’Ayesha se tenait debout, résistant à la fureur du vent qui faisait flotter sa longue chevelure, et continuait à marcher de l’avant, sans faire attention au gouffre hideux qui s’ouvrait sous ses pieds. Nous vîmes alors à quoi devait servir la planche étroite que Job et moi nous avions portée avec peine. Devant nous, s’étendait un espace vide, de l’autre côté duquel il y avait quelque chose. Quoi, nous n’aurions su le dire, car les ténèbres étaient aussi profondes que durant la nuit.

— Attendons un moment, s’écria Ayesha, la lumière va venir bientôt.

Je ne pus saisir tout d’abord ce qu’elle voulait dire. Comment la lumière viendrait-elle en cet horrible endroit ? Tandis que je me posais cette question, tout à coup, semblable à une épée de flamme, un rayon du soleil couchant perça les ténèbres et donna sur la pointe de rocher où nous nous trouvions, revêtant les formes gracieuses d’Ayesha d’une splendeur surnaturelle. Aucune description ne saurait rendre la beauté sauvage de cette épée de feu reluisant au milieu de l’obscurité et des vapeurs du gouffre, et projetant sur l’objet éclairé une lumière si vive qu’on pouvait distinguer presque toutes les parcelles du rocher.

Et maintenant, grâce à ce rayon de lumière qu’Ayesha avait attendu, sachant que depuis des milliers d’années il apparaissait toujours ainsi au coucher du Soleil, nous pûmes distinguer ce qui était devant nous. À onze ou douze pieds du rocher où nous nous tenions se dressait un cône en forme de pain de sucre, dont le sommet se trouvait juste vis-à-vis de nous. Sur le rebord de ce sommet, reposait une énorme pierre plate qui, tenant à peine au cône et se balançant dans les airs, oscillait sous le coup des rafales impétueuses !

— Vite, dit Ayesha, la planche ! Nous devons passer tandis que le rayon de Soleil nous éclaire ; il va bientôt disparaître !

— Ah ! ciel ! comment allons-nous faire ? murmura Job, en me poussant la planche, sur mon ordre.

— Nous verrons bien. Job, lui répliquai-je avec une gaieté forcée, quoique l’idée de passer sur cette planche ne me sourît guère.

Je passai la planche à Ayesha, qui la posa adroitement en travers du souffre, de sorte que l’une de ses extrémités s’appuyait sur la pierre branlante, l’autre sur l’éperon. Puis, posant son pied sur la planche, pour l’empêcher d’être emportée, elle se tourna vers moi.

— Mon cher Holly, me dit-elle, la pierre branlante est moins solide qu’autrefois, et je ne suis pas sûre qu’elle puisse nous porter ! Aussi, passerai-je la première, parce que je n’éprouverai aucun mal.

Et, traversant aussitôt la fragile passerelle, elle arrivait saine et sauve sur la pierre gigantesque.

— Il n’y a pas de danger, s’écria-t-elle. En route ! je me tiendrai sur l’extrémité opposée de la pierre pour qu’elle ne bascule pas sous votre poids. Viens, Holly. la lumière faiblit.

À suivre

RIDER HAGGARD.

(Traduit de l’anglais par M. Georges Labouchère.)