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Pierre Valdagne : La maison hantée

mardi 2 février 2021, par Denis Blaizot

Ce conte a été publié dans l’Excelsior du 12 décembre 1921 1921 .

Pierre Valdagne : La maison hantée

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Emma Daboulin, très pâle, demanda à son mari :

—  Alors, vraiment, toi, tu n’as pas peur ?

Il la rassura. Il lui donna sur l’épaule des petites tapes encourageantes :

—  Mais non, je n’ai pas peur. De quoi veux-tu que j’aie peur ? D’abord, ajouta-t-il avec un gros rire, les revenants n’ont jamais fait de mal à personne. Tout ça, c’est des histoires à dormir debout ; c’est fait pour effrayer les enfants qui ne sont pas sages.

Mais Emma insistait :

—  L’épicier a dit que, la nuit, on entendait des bruits de chaînes !

—  L’épicier doit être un ennemi de la propriétaire. Il veut l’empêcher de louer sa maison.

—  Et le boucher qui nous a regardés avec effarement quand il a su que nous allions nous installer dans cette « Maison blanche ». Il n’y croyait pas ! Il nous a expliqué qu’à minuit, on entendait des pas pesants.

Et elle dit encore :

—  Ah ! cette maison si isolée, si loin de la ville !

—  Elle est à cinq minutes !

—  Je ne pourrai jamais ! J’en deviendrai folle !

Alors Prosper Daboulin prit son air le plus résolu :

—  Écoute-moi bien, Emma ! Nous avons le choix entre la « Maison blanche » et la belle étoile. Je viens d’être nommé greffier au tribunal de Patillon-sur-Loire ! Je dois rejoindre mon poste dans dix jours. Or, tu sais qu’à Patillon-sur-Loire, il n’y a pas un appartement libre, pas même une chambre, pas même une soupente. C’est la crise ! Elle sévit partout ! Or, on nous indique, aux portes de la ville, une maison charmante, confortable, avec un joli jardin, et cela pour un prix ridicule !

—  Parbleu ! Une maison hantée ! Personne n’en veut !

—  Pardon ! Moi j’en veux bien ! Je préfère ça à coucher dehors. Prends donc tes dispositions pour emménager mercredi. Et ne fais pas une tête comme ça, si tu ne veux pas que j’aie des doutes sur la solidité de ton cerveau.

Le mercredi suivant, les Daboulin emménagèrent.

Il faisait, ce jour-là, un soleil radieux. Comment croire que la maison fût hantée pas des esprits ?

Emma, elle-même, en circulant dans les pièces coquettes et claires, traita ses terreurs avec sévérité.

Daboulin triomphait. Quant à Mélanie, la bonne, elle se déclara enchantée de sa cuisine.

Le soir venu, tout le monde était éreinté par le déménagement et chacun tomba, aussitôt couché, dans le plus épais sommeil.

Si bien qu’au petit jour, Prosper, l’œil sarcastique, demanda à sa femme :

—  Eh bien ? Et ces fameux revenants ? Tu as entendu des revenants, toi ? Je te dis que ce ne sont que des blagues !

—  Je finis par le croire, avoua Mme Daboulin.

La journée se passa, pour le greffier, en visites de carrière, et, pour Emma et sa bonne, en rangements compliqués.

Vers le soir, le temps se couvrit, la pluie se mit à tomber et ce fut un orage. Cependant, le greffier et sa femme s’endormirent tranquillement. Mais, comme minuit sonnait, ils furent réveillés, l’un et l’autre, par le bruit de pas lourds et étouffés, et, un peu plus tard, par le cliquetis d’une chaîne de fer.

—  As-tu entendu ? prononça tout bas Mme Daboulin.

—  Je n’ai rien entendu ! répondit Prospère d’une voix mal assurée.

Sans les ténèbres qui régnaient dans la pièce, on eût pu voir que Daboulin était plus pâle que sa femme.

Les bruits, d’ailleurs, ne continuèrent pas.

Mais ils recommencèrent le lendemain à minuit.

Cela venait d’en bas, probablement de la cave.

Dès lors, la vie, dans la « Maison blanche », fut semblable à un cauchemar.

Personne, pas même Mélanie, n’arrivait à s’endormir. On guettait les bruits étranges. C’était comme si quelqu’un rampait le long des murs : il y avait des heurts, des chocs d’objet renversés, puis des silences impressionnants, puis encore ce bruit sinistre de chaînes secouée comme si quelque prisonnier pitoyable agitait dans la nuit ses bras entravés.

Emma dormait un peu dans la journée mais Prosper, occupé au tribunal, ne dormait plus du tout. Il maigrissait à vue d’œil.

Quant à Mélanie, elle commençait à perdre la raison.

Il fallait en finir ! Il fallait savoir ! Il fallait aller dans la cave et défier les esprits !

Cette nuit-là, le greffier attendit donc que le mystérieux phénomène se produisît. Puis, il alluma une lampe, enfila son pantalon et s’arma d’un gros revolver d’ordonnance qui avait servi à son père, lequel avait été gendarme.

Ainsi équipé, Daboulin alla réveiller sa bonne, plus morte que vive.

—  Où vas-tu ? demanda Emma d’une voix à peine distincte.

—  Je vais où mon devoir m’appelle ! J’en ai assez !

—  Prosper ! Il y a des choses qu’il ne faut pas braver ! Reste avec moi !

Mais le greffier écarta sa femme d’une main qui, d’ailleurs, tremblait, et il s’engagea dans l’escalier qui descendait à la cave.

Devant la lourde porte qu’aucun verrou ne protégeait, il souffla, passa sa main sur un front mouillé par l’angoisse et, enfin, faisant appel à toute son énergie :

—  Spectre ! s’écria-t-il, haut les mains ! C’est moi !

Trois fois il recommença l’appel pathétique. Ce ne fut qu’après la troisième fois qu’on perçut du bruit derrière la porte et que Daboulin entendit remuer les chaînes qui lui faisaient si peur. Enfin la porte s’ouvrit tout doucement et on aperçut, éclairé vivement par la lampe, un brave homme aux yeux clignotants qui criait :

—  Hé là ! Ne me faites pas de mal ! Je ne veux tuer personne, moi !

Daboulin, aussi vite rassuré qu’il avait été terrifié, fit quelques pas dans la cave, suivi de Mélanie.

Pour plus de sûreté, il braquait encore son revolver, et il inspectait les lieux.

Par terre, de la paille était étendue qui portait encore la trace du corps qui s’y était couché.

Quant à l’homme, il reculait à mesure que Prosper avançait et on l’entendait murmurer tout bas :

—  Ça devait arriver ! C’est bien ma veine ! Qu’est-ce que je vais devenir, maintenant ?

Mais Emma, comprenant que les événements étaient en train de prendre une tournure naturelle, avait passé un jupon et une camisole, et elle était descendue à son tour.

Alors, on s’expliqua :

—  Qu’est-ce que vous fichez ici ? interrogea Daboulin d’un air digne. Savez-vous bien que je pourrais vous tuer comme un chien ? De quel droit vous êtes-vous introduit chez moi ?

—  Eh bien ! Je vais vous dire, répondit l’homme. Je suis jardinier, je ne trouve pas d’ouvrage. Je ne suis donc pas riche, n’est-ce pas ? Alors, comme je ne peux pas me payer l’hôtel meublé, je suis venu, depuis un mois, coucher ici toutes les nuits. Il n’y avait personne, personne ne s’en apercevait. Et à qui que je faisais du tort ? Seulement, voilà… quand vous êtes venus habiter la maison, je me suis dit : Mon vieux Pastel, te voilà fichu ! On va s’apercevoir de ta présence et on te mettra dehors. Ça n’a pas raté ! Je faisais pourtant bien attention, en entrant par le soupirail, et je faisais le moins de bruit possible. Je vous assure que je me faisais petit. Mais, vous voyez ! Ça n’a servi à rien ! Vous avez bien fini par me découvrir. Qu’est-ce que je vais devenir à présent ?

Tout le monde respirait chez les Daboulin. Ce fut Emma qui, magnanime, arrangea les choses :

—  Le tort que vous avez eu, Pastel, c’est de vous être caché. Nous sommes de braves gens. Nous vous aurions laissé votre cave.

« Dorénavant, je vous prends à mon service comme jardinier, car je vais avoir besoin de faire arranger mon jardin. Seulement, vous allez nous expliquer quelque chose. Je comprends bien maintenant que nous ayons entendu des bruits de pas, puisque vous marchiez dans cette cave. Mais ce bruit de chaîne ? Pourquoi agitiez-vous cette lourde chaîne qui devait vous dénoncer ? En vérité, cela est inexplicable !

—  Je vais vous dire, bonne madame, reprit Pastel. Cette satanée cave, elle ne ferme pas. Il n’y a qu’une serrure cassée et pas de verrou. Alors, qu’est-ce que vous voulez ? On dit partout, dans le pays, que la maison est hantée. Vous comprenez, moi, je n’étais guère rassuré, tout de même ! Alors j’ai découvert cette grosse chaîne et, tous les soirs, je me barricadais avec. Je la tendais devant la porte pour empêcher les esprits d’entrer.

En remontant dans leur chambre, Prosper et Emma riaient encore. Mais Mme Daboulin cessa de rire bientôt. Son visage se couvrit de gravité et une lumière d’admiration brilla dans ses yeux pendant que Daboulin se glissait dans son lit.

—  Prosper ! dit-elle. Tu as été beau ! Tu as été courageux ! Tu t’es conduit comme un héros ! Dès demain, toute la ville de Patillon-sur-Loire aura, par ma bouche, appris à te connaître. C’est, pour une femme, une bien douce joie de pouvoir admirer l’homme qui lui a donné son nom !

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