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Maurice Level : Le meurtrier

dimanche 18 avril 2021, par Denis Blaizot

Ce conte a été publié dans Le matin du 27 juin 1921 1921 . Vous pouvez le retrouver sur Gallica.

En immobilisant ses traits, la mort avait restitué à M. de Horde son expression naturelle ; c’est-à-dire que son visage était hautain, sa lèvre dédaigneuse et son front creusé entre les sourcils d’un sillon dur. Les bras allongés naturellement le long du corps, il semblait dormir. Un seul détail donnait à sa pose quelque chose d’insolite : le buste légèrement oblique par rapport au sol ne portait sur le sable que d’un côté. Cela tenait à ce que le couteau enfoncé entre les épaules, un peu à gauche de la ligne médiane, était resté dans la plaie.

Mme de Horde, un mouchoir sur les lèvres, contemplait le cadavre. Le procureur, des gendarmes, tournaient autour : un chien s’en approcha, le flaira, et il fallut le chasser à coups de pied. Il y avait aussi des gens du village, des curieux et quelques invités du château. Le procureur s’adressa à Mme de Horde :

—  Vous n’avez aucun indice ? Vous ne soupçonnez personne ?

Elle promena sur les assistants un long regard : tous le soutinrent, sauf un petit homme très pâle, qui tenait ses mains derrière son dos ; elle détourna la tête et dit d’une voix à peine intelligible :

—  Non, monsieur.

Les constatations finies, les empreintes relevées, quatre paysans, transportèrent le corps. Mme de Horde allait se retirer, le procureur lui demanda de lui accorder quelques minutes d’entretien.

—  On prétend, madame — sans doute sont-ce là racontars de campagne — qu’il y avait entre vous et votre mari une certaine mésintelligence ?

Elle n’y contredit pas et fit un tableau rapide de son existence : M. de Horde autoritaire, arrogant, jaloux, lui rendait depuis dix ans l’existence douloureuse. Elle ajouta même, sans qu’il fût besoin de la questionner, que, par deux fois, elle avait pensé au divorce.

—  N’avez-vous pas tenté d’abandonner le domicile conjugal ?

Sur ce point, elle manifesta quelque gêne, est convint qu’elle avait eu, en effet, ce projet ; mais la crainte du scandale l’avait conduite à revenir, après une absence de quarante-huit heures. Ce détail était connu du magistrat ; il lui demanda si elle était partie seule ou accompagnée, et par qui.

—  Je préfère, dit-elle, ne désigner personne néanmoins, si cela doit être utile à la manifestation de la vérité, je donnerai le nom et toutes les précisions désirables quand vous l’exigerez.

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Après quoi, épuisée par trop d’émotions, elle se mit à pleurer. C’étaient ses premières larmes.

La journée s’acheva sans que rien ni personne troublât sa douleur. Vers le soir, un invité qui n’était arrivé que du matin, c’est-à-dire postérieurement à la découverte du crime, prit congé d’elle ; elle ne le retint pas et lui dit, en fixant sur lui un regard profond :

—  Il se peut que je sois obligée de prononcer votre nom ; le procureur n’ignore pas que nous avons voulu fuir ensemble…

Il eut un haut-le-corps.

—  Je pense qu’il ne me soupçonne pas ?… Du reste, je n’aurai qu’un mot à dire pour me justifier, ayant quitté Paris hier soir.

Après quoi, il la plaignit, et de sa douleur présente, et des amertumes du passé. Elle l’écouta, méprisante, et retira sa main qu’il tentait de garder dans les siennes.

La nuit tombait ; le parc semblait désert. Comme elle revenait à pas lents vers le château, une ombre surgie de derrière un bosquet l’effraya, et une voix lui dit :

—  Pardonnez-moi si je vous ai fait peur. Je ne voulais pas vous surprendre ni vous épier, ah, mon Dieu ! Le hasard m’a mis là, et aussi…

Elle vit qu’elle était à quelques mètres de la place où l’on avait trouvé le corps de M. de Horde et frissonna. Le petit-homme pâle qui, le matin, n’avait pas soutenu son regard, se tenait humblement devant elle. Il lui sembla qu’il était encore plus blême, que son visage était suppliant ; et ce visage à force d’être soumis prenait une sorte de beauté touchante et tragique. Tour à tour, elle le contempla, et contempla le sable qui avait sucé le sang. Il détourna la tête et murmura :

—  Comptez sur moi en toutes choses.

Elle feignit de ne pas remarquer son trouble et répondit :

—  Les amis véritables se révèlent au moment qu’on attendait le moins…

Il se tut ; ce silence épouvanta Mme de Horde, et tout en l’entraînant loin de ce lieu chargé de trop d’horreur, elle parla :

—  Vous seul comprenez ma détresse, et quel calvaire fut ma vie. Encore, n’en devinez-vous qu’une faible partie… Hier, une scène affreuse a éclaté entre mon mari et moi. Nul ne soupçonne ce qu’il m’a fallu de résignation pour supporter cet enfer…

—  Si, si, dit-il avec une colère mal contenue.

Des nuages couraient au-dessus des arbres ; une fenêtre de l’habitation s’éclaira — la fenêtre du cabinet de travail de M. de Horde. Le petit homme pâle se mit à claquer des dents, Mme de Horde cacha sa figure dans ses mains et murmura :

—  Et quelle solitude ! Pas un être à qui me confier… Ceux en qui je croyais pouvoir mettre mon espoir, des timides, des lâches…

Il dit d’une voix sourde :

—  Vous méritiez mieux !

Elle répondit :

—  Vous êtes brave et vous êtes bon.

Ils avançaient côte à côte, sans prononcer une parole, si rapprochés que leurs hanches se frôlaient à chaque pas, baignés d’une telle reconnaissance, d’une telle angoisse, qu’entre eux les mots n’avaient plus de raison. En quelques heures, sans qu’un aveu eût été échangé, ils avaient mesuré l’un et l’autre la force de l’amour inconnu. Sur le point de se séparer, à quelques pas du perron, Mme de Horde dit en cherchant ses yeux à travers l’ombre :

—  Jusqu’à la mort !

Il répéta :

—  Jusqu’à la mort !

Comme ils pénétraient dans le hall, chacun par une porte différente, la sonnerie du téléphone retentit :

—  C’est le procureur de la République, annonça un domestique.

—  Bien… laissez-moi, fit Mme de Horde du ton le plus ferme qu’elle put.

Elle prit un récepteur et tendit l’autre en tremblant à l’homme pâle.

—  Allô ! Madame de Horde ? Une bonne nouvelle dans votre grande douleur, madame : l’assassin de votre mari est arrêté ; c’est un braconnier ; il a avoué…

D’un même geste, ils raccrochèrent l’appareil. Ils étaient pareillement livides et hébétés.

—  Ce n’était donc pas vous ?… balbutia Mme de Horde.

—  Ce n’était donc pas vous ?… balbutia son compagnon.

—  Quelle infamie ! Vous avez pu croire ?…

—  Vous avez pu penser ?…

Et, brusquement, ils se haïrent pour ce soupçon qui l’instant d’avant les avait fait s’adorer.

Maurice Level Maurice Level Maurice Level, né le 29 août 1875 à Vendôme et décédé le 14 avril 1926 à Rueil, est un écrivain, journaliste et dramaturge français.

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Bonne idée que ce petit conte où deux individus se rencontrent dans l’assassinat d’un troisième qui leur était visiblement antipathique pour des raisons que nous ignorerons finalement. Nous ne sommes certains que d’une chose : ils ne s’appréciaient mutuellement que par la culpabilité supposée de l’autre. L’autre n’est aimable que parce qu’il a osé agir. Mais quelle déception que de découvrir qu’ils n’ont agit ni l’un ni l’autre.

Vraiment très bonne idée… qui aurait, je pense, mériter plus de développement.