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William Hope Hodgson : Une horreur tropicale

samedi 20 avril 2024, par Denis Blaizot

Cette nouvelle est parue pour la première fois dans The Grand Magazine de juin 1905 1905 .

C’est un premier jet. Cette traduction, réalisée à partir d’une copie due la première édition, n’a subit aucune relecture. Il y a sans doute quelques coquilles, et je vous saurai grès de me les signaler. Bonne lecture.

Nous sommes à cent trente jours de Melbourne, et depuis trois semaines nous sommes restés immobiles dans ce calme étouffant.

Il est minuit et notre quart est sur le pont jusqu’à quatre heures du matin. Je sors et m’assois sur l’écoutille. Une minute plus tard, Joky, notre plus jeune apprenti, me rejoint pour discuter. Nombreuses sont les heures où nous sommes restés assis ainsi et avons parlé pendant les veilles de nuit ; mais, bien sûr, c’est Joky qui parle. Je me contente de fumer et d’écouter, en poussant un grognement occasionnel pour montrer que je suis attentif.

Joky reste silencieux depuis un moment, la tête penchée en méditation. Soudain, il lève la tête, visiblement avec l’intention de faire une remarque. Ce faisant, je vois son visage se raidir d’une horreur sans nom. Il s’accroupit en arrière, ses yeux rivés sur moi, guettant une peur invisible. Puis sa bouche s’ouvre. Il pousse un cri étranglé et tombe en arrière de l’écoutille, se cognant la tête contre le pont. Craignant je ne sais quoi, je me retourne pour regarder.

Grands Cieux ! S’élevant au-dessus des pavois, clairement visible au clair de lune, se trouve une vaste bouche baveuse d’une brasse de diamètre. Aux énormes lèvres dégoulinantes pendent de grands tentacules. À mesure que je regarde, la Chose avance plus loin sur la lisse. Elle monte, monte, de plus en plus haut. Il n’y a pas d’yeux visibles ; seulement cette bouche effrayante et baveuse posée sur un col énorme en forme de trompe ; qui, alors même que je regarde, se recroqueville vers l’intérieur avec la célérité furtive d’une énorme anguille. Au-dessus, il se présente en vastes plis soulevés. Est-ce que ça ne finira jamais ? Le navire donne un roulis lent et maussade vers tribord sous le poids de la chose. Puis la queue, une masse large et plate, glisse sur le bastingage en teck et tombe avec un bruit sourd sur le pont.

Pendant quelques secondes, la hideuse créature reste entassée en anneaux gluants et tordus. Puis, avec des mouvements rapides, la tête monstrueuse se déplace le long du pont. Près du grand mât se trouvent les tonneaux de harnais, et à côté d’eux un tonneau de bœuf salé fraîchement ouvert dont le dessus est approximativement remis en place. L’odeur de la viande semble attirer le monstre, et je l’entends inspirer profondément. Puis ces lèvres s’ouvrent, affichant quatre énormes crocs ; il y a un mouvement rapide de la tête vers l’avant, un bruit soudain de fracas et de craquement, et le bœuf et le tonneau ont disparu. Le bruit fait sortir du gaillard d’avant un simple matelot. En arrivant dans la nuit, il ne voit rien pendant un moment. Puis, à mesure qu’il s’éloigne, il voit et, avec des cris horrifiés, il fuit. Trop tard ! De la bouche de la Chose jaillit une longue et large lame d’un blanc scintillant, sertie de dents féroces. Je détourne les yeux, mais je ne peux pas ne pas entendre le nauséeux « Glut ! Glut ! » qui suit.

L’homme de vigie, attiré par le tumulte, est témoin du drame et fuit se réfugier dans le gaillard d’avant, claquant après lui la lourde porte de fer.

Le charpentier et le voilier sortent en courant de sous le pont supérieur en pantalons. Voyant l’horrible chose, ils se précipitent vers la cabine avec des cris de terreur. Le second, après un coup d’œil par-dessus la dunette, court dans la descente, suivi du timonier. Je les entends barrer l’écoutille, et soudain je réalise que je suis seul sur le pont principal.

J’ai oublié mon propre danger. Les dernières minutes semblent être une partie d’un terrible rêve. Tout à coup je comprends ma situation et, me débarrassant de l’horreur qui m’a retenu, je me tourne pour chercher la sécurité. Ce faisant, mes yeux tombent sur Joky, recroquevillé et tétanisé par la peur là où il est tombé. Je ne peux pas le laisser là. Tout près se trouve le rouf vide – une petite maison en acier avec des portes en fer. Celle sous le vent est ouverte et accrochée. Une fois à l’intérieur, je suis en sécurité.

Jusqu’à cet instant, la Chose avait semblé inconsciente de ma présence. Maintenant, malheureusement, l’énorme tête en forme de tonneau se balance dans ma direction ; puis vient un beuglement étouffé, et la grande langue vacille tandis que la brute se tourne et tourbillonne vers l’arrière pour me rejoindre. Je sais qu’il n’y a pas un instant à perdre et, soulevant le garçon sans défense, je cours vers la porte ouverte. Il n’est qu’à quelques mètres de là, mais cette horrible forme descend vers moi sur le pont en grandes spirales torsadées. J’arrive au rouf et je tombe dedans avec mon fardeau ; puis de nouveau sur le pont pour décrocher et fermer la porte. Pendant ce temps, quelque chose de blanc s’enroule autour de notre abri. D’un bond, je suis à l’intérieur et la porte est fermée et verrouillée. À travers les vitres épaisses des hublots, je vois la Chose balayer le rouf, me cherchant en vain.

Joky n’a pas encore bougé ; alors, m’agenouillant, je desserre le col de sa chemise et lui asperge le visage d’un peu d’eau du baril. Pendant que je fais cela, j’entends Morgan crier quelque chose ; puis vient un grand cri de terreur, et encore cet écœurant « Glut ! Glut ! »

Joky remue avec inquiétude, se frotte les yeux et se redresse brusquement.

— Est-ce que c’était Morgan qui criait… ?
Il s’interrompt avec un cri.

— Où sommes-nous ? J’ai fait des rêves tellement horribles !

À cet instant, il y a un bruit de pas qui courent sur le pont et j’entends la voix de Morgan à la porte.

— Tom, ouvre !

Il s’arrête brusquement et pousse un affreux cri de désespoir. Puis je l’entends se précipiter. Par le hublot, je le vois sauter dans le gréement avant et grimper follement dans les airs. Quelque chose vole après lui. Il apparaît blanc au clair de lune. Il s’enroule autour de sa cheville droite. Morgan s’arrête net, sort son couteau et frappe violemment la chose diabolique. Il lâche prise, et en une seconde, il est au-dessus et court pour sauver sa vie sur le gréement du perroquet.

Un temps de calme s’ensuit, et bientôt je vois que le jour se lève. Aucun son ne peut être entendu, à l’exception de la respiration haletante et lourde de la Chose. À mesure que le soleil se lève, la créature s’étend le long du pont et semble profiter de la chaleur. Toujours aucun bruit, ni de la part des hommes du gaillard d’avant, ni des officiers à l’arrière. Je peux seulement supposer qu’ils ont peur d’attirer son attention. Pourtant, un peu plus tard, j’entends le bruit d’un pistolet à l’arrière, et en regardant dehors, je vois le serpent lever sa tête énorme comme s’il écoutait. Ce faisant, j’ai une bonne vue de l’avant et, à la lumière du jour, je vois ce que la nuit a caché.

Là, juste autour de la bouche, se trouvent une paire de petits yeux de cochon qui semblent scintiller avec une intelligence diabolique. Il balance lentement la tête d’un côté à l’autre ; puis, sans avertissement, il tourne rapidement et regarde droit vers bâbord. Je m’esquive, mais pas assez tôt. Il m’a vu et rapproche sa grande bouche de la vitre.

Je retiens mon souffle. Mon Dieu ! Si ça casse le verre ! Je me recroqueville, horrifié. De la direction de bâbord, on entend un bruit fort et dur de grattage. Je frissonne. Puis je me souviens qu’il y a des petits volets en fer pour fermer les sabords en cas de mauvais temps. Sans perdre un instant, je me lève et claque le volet de bâbord. Ensuite, je vais vers les autres et je fais de même. Nous sommes maintenant dans l’obscurité et je dis à Joky à voix basse d’allumer la lampe, ce qu’il fait après quelques tâtonnements.

Environ une heure avant minuit, je m’endors. Quelques heures plus tard, je suis réveillé brusquement par un cri d’agonie et le cliquetis d’une cuillère à eau. Il y a un léger bruit de frottement, puis ce « Glut ! Glut ! »

Je suppose ce qui s’est passé. Un des hommes s’est glissé hors du gaillard d’avant pour essayer d’aller chercher un peu d’eau. De toute évidence, il a fait confiance aux ténèbres pour cacher ses mouvements. Pauvre fou ! Il a payé cette tentative de sa vie !

Après cela, je ne peux pas dormir, même si le reste de la nuit se passe assez tranquillement. Vers le matin, je m’assoupis un peu, mais je me réveille toutes les quelques minutes en sursaut. Joky dort paisiblement ; en fait, il semble épuisé par la terrible tension des dernières vingt-quatre heures. Vers huit heures du matin, je l’appelle et nous préparons un petit-déjeuner léger avec les biscuits secs et l’eau du navire. Heureusement, nous en avons une bonne quantité. Joky semble plus lui-même et commence à parler un peu – peut-être un peu plus fort qu’il n’est prudent ; car, tandis qu’il bavarde, se demandant comment cela va finir, un coup terrible frappe contre le côté du rouf, qui le fait sonner comme une cloche. Après cela, Joky reste très silencieux. Pendant que nous sommes assis là, je ne peux m’empêcher de me demander ce que font tous les autres et comment se portent les pauvres gars de l’avant, enfermés sans eau, comme l’a prouvé la tragédie de la nuit.

Vers midi, j’entends une forte détonation, suivie d’un formidable beuglement. Vient ensuite un grand fracas de boiseries et des cris de douleur poussé par des hommes. En vain je me demande ce qui s’est passé. Je commence à raisonner. D’après le bruit de la détonation, il s’agissait évidemment de quelque chose de beaucoup plus lourd qu’un fusil ou un pistolet, et à en juger par le rugissement fou de la Chose, le coup de feu a dû le blesser. En y réfléchissant plus profondément, je deviens convaincu que, d’une manière ou d’une autre, ceux qui sont à l’arrière ont mis la main sur le petit canon de signalisation que nous transportons, et même si je sais que certains ont été blessés, peut-être tués, un sentiment d’exultation me saisit quand j’écoute les rugissements de la Chose et réalise qu’elle est grièvement blessée, peut-être mortellement. Après un certain temps, cependant, les beuglements s’éteignent et seul un rugissement occasionnel, dénotant plus de colère qu’autre chose, se fait entendre.

Bientôt, je me rends compte, en voyant le navire s’incliner sur tribord, que la créature est passée de ce côté, et un grand espoir surgit en moi : peut-être en a-t-elle assez de nous et va-t-elle franchir le bastingage pour retourner dans la mer. Pendant un moment, tout est silencieux et mon espoir se renforce. Je me penche et donne un coup de coude à Joky, qui dort la tête sur la table. Il sursaute brusquement en poussant un grand cri.

— Chuuut ! murmuré-je d’une voix rauque. Je n’en suis pas sûr, mais je crois que c’est parti.

Le visage de Joky s’éclaire merveilleusement et il m’interroge avec impatience. Nous attendons encore environ une heure, avec un espoir toujours grandissant. Notre confiance revient rapidement. Pas un son ne peut être entendu, pas même la respiration de la Bête. Je sors des biscuits, et Joky, après avoir fouillé dans le coffre, sort un petit morceau de porc et une bouteille de vinaigre de bord. On s’en délecte. Après notre longue abstinence de nourriture, le repas agit sur nous comme le vin, et que peut faire Joky sinon insister pour ouvrir la porte, pour s’assurer que la Chose a disparu. Je ne le permettrai pas, lui disant qu’au moins il serait plus sûr d’ouvrir d’abord les volets en fer des sabords et d’y jeter un œil. Joky argumente, mais je suis inébranlable. Il devient excité. Je pense que le jeune est étourdi. Puis, alors que je me retourne pour dévisser l’un des volets arrières, Joky se précipite vers la porte. Avant qu’il ne puisse défaire les verrous, je l’ai attrapé et, après une courte lutte, je l’ai ramené à la table. Alors même que je m’efforce de le calmer, arrive à la porte tribord — la porte que Joky a essayé d’ouvrir — un reniflement aigu et fort, suivi immédiatement par un grognement tonitruant. Et une odeur nauséabonde d’haleine putride passe sous la porte. Un grand tremblement m’envahit, et sans le coffre à outils du charpentier, je tomberais. Joky devient très blanc et tombe violemment malade, après quoi il est pris d’un sanglot désespéré.

Les heures passent et, mort de fatigue, je m’allonge sur le coffre sur lequel j’étais assis et j’essaie de me reposer.

Il doit être environ deux heures et demie du matin, après une somnolence un peu plus longue, quand je suis soudain réveillé par un vacarme des plus terribles provenant de l’avant. Des voix d’hommes criant, maudissant, priant, si faibles, malgré la terreur exprimée, parfois interrompues par ce « Glut ! Glut ! », mugissement surnaturel de la Chose. La peur s’empare de moi, et je ne peux que tomber à genoux et prier. Je sais trop bien ce qui se passe.

Joky a dormi pendant tout cela et je lui en suis reconnaissant.

À présent, sous la porte se glisse un étroit ruban de lumière, et je sais que le jour se lève sur notre deuxième matin d’emprisonnement. J’ai laissé Joky dormir. Je le laisserai tranquille tant qu’il le pourra. Le temps passe, mais je n’y prête pas attention. La Chose est calme, probablement en train de dormir. Vers midi, je mange un petit biscuit et bois un peu d’eau. Joky dort toujours. C’est mieux ainsi.

Un bruit brise le silence. Le navire donne un léger soulèvement, et je sais qu’une fois de plus la Chose est réveillée. Il se déplace autour du pont, provoquant un roulis perceptible du navire. Il repart vers l’avant... je suppose pour explorer à nouveau le gaillard d’avant. Evidemment il ne trouve rien, car il revient presque aussitôt. Il s’arrête un instant devant le rouf, puis continue plus loin. Là-haut, quelque part dans le gréement avant, retentit un éclat de rire sauvage, quoique très faible et lointain. L’Horreur s’arrête brusquement. J’écoute attentivement, mais je n’entends rien d’autre qu’un craquement aigu à l’arrière du rouf, comme si une tension avait été exercée sur le gréement.

Une minute plus tard, j’entends un cri en l’air, suivi presque instantanément d’un grand fracas sur le pont qui semble secouer le navire. J’attends avec une peur anxieuse. Que se passe-t-il ? Les minutes s’écoulent lentement. Puis vient un autre cri effrayé. Cela cesse brusquement. Le suspense est devenu terrible et je n’arrive plus à le supporter. Très prudemment, j’ouvre l’un des hublots arrière et je jette un coup d’œil dehors pour voir un spectacle effrayant. Là, avec sa queue sur le pont et son vaste corps enroulé autour du grand mât, se trouve le monstre, sa tête au-dessus de la vergue de hunier, et son grand tentacule armé de griffes ondulant dans les airs. C’est la première vue véritable que j’ai de la Chose. Bonté divine ! Il doit peser une centaine de tonnes ! Sachant que j’aurai le temps, j’ouvre le sabord lui-même, puis je tends la tête et je lève les yeux. Là, à l’extrémité de la vergue inférieure, j’aperçois l’un des matelots qualifiés. Même ici, je remarque l’horreur fixe de son visage. À ce moment, il m’aperçoit et pousse un appel à l’aide faible et rauque. Je ne peux rien faire pour lui. Tandis que je regarde, la grande langue jaillit et l’attrape, tout comme un chien le ferait d’une mouche sur une vitre.

Plus haut encore, mais heureusement hors de portée, se trouvent deux autres hommes. Autant que je puisse en juger, ils sont amarrés au mât au-dessus de la vergue de cacatois. La Chose tente de les atteindre, mais après un effort inutile, elle s’arrête et commence à glisser, anneau après anneau, jusqu’au pont. Ce faisant, je remarque une grande blessure béante sur son corps, à une vingtaine de pieds au-dessus de la queue.

Je baisse mon regard d’en haut et regarde vers l’arrière. La porte de la cabine est arrachée de ses gonds et la cloison, qui, contrairement au demi-pont, est en bois de teck, est en partie brisée. Avec un frisson, je comprends la cause de ces cris après le coup de canon. En me tournant, je tourne la tête et j’essaie de voir le mât de misaine, mais je n’y parviens pas. Le soleil, je le remarque, est bas et la nuit est proche. Ensuite, je rentre ma tête et fixe le sabord et le volet.

Comment cela va-t-il se terminer ? Oh ! comment ça va finir ?

Au bout d’un moment, Joky se réveille. Il est très agité, mais même s’il n’a rien mangé pendant la journée, je n’arrive pas à lui faire toucher à quoi que ce soit.

La nuit approche. Nous sommes trop fatigués, trop découragés pour parler. Je m’allonge, mais pas pour dormir…. Le temps passe.

Un ventilateur vibre violemment quelque part sur le pont principal, et il y a constamment ce bruit sourd et granuleux. Plus tard, j’entends le hurlement d’agonie d’un chat, puis tout redevient calme. Quelque temps après, un grand plouf se fait entendre. Puis, pendant quelques heures, tout est silencieux comme une tombe. Parfois, je m’assois sur le coffre et j’écoute, mais jamais un murmure ne me parvient. Il y a un silence absolu, même le grincement monotone a complètement disparu. Enfin un véritable espoir surgit en moi. Cette éclaboussure, ce silence... j’ai sûrement raison d’espérer. Je ne réveille pas Joky cette fois. Je vais d’abord me prouver que tout est sécurisé. J’attends toujours. Je ne courrai aucun risque inutile. Au bout d’un moment, je me glisse vers bâbord-arrière et j’écoute ; mais il n’y a pas un bruit. Je lève la main et tâte la vis, puis j’hésite à nouveau, mais pas pour longtemps. En silence, je commence à dévisser la fixation du lourd volet. Il se détache sur sa charnière, je le retire et je regarde dehors. Mon cœur bat à la folie. Tout semble étrangement sombre dehors. Peut-être que la lune est passée derrière un nuage. Soudain, un rayon de lune entre par le sabord et s’en va aussi vite. Je regarde dehors. Quelque chose bouge. La lumière entre à nouveau, et maintenant il me semble regarder dans une grande caverne, au fond de laquelle frémit et s’enroule quelque chose de blanc pâle.

Mon cœur semble s’être arrêté ! C’est l’Horreur ! Je recule et saisis le volet en fer pour le claquer. Ce faisant, quelque chose frappe le verre comme un bélier à vapeur, le brise et passe devant moi vers la couchette. Je crie et m’enfuis. Le sabord en est bien rempli. La lampe le montre faiblement. Il s’enroule et se tord ici et là. Il est aussi épais qu’un arbre et recouvert d’une peau lisse et visqueuse. Au bout se trouve une grosse pince, comme celle d’un homard, mais mille fois plus grosse. Je me recroqueville dans le coin le plus éloigné…. Il a brisé le coffre à outils en un seul claquement de ces effroyables mandibules. Joky s’est glissé sous une couchette. La Chose tourne dans ma direction. Je sens une goutte de sueur couler lentement sur mon visage – elle a un goût salé. Cette mort horrible se rapproche…. Vlan ! Je me retourne à l’envers. Il a brisé le tonneau contre lequel je m’appuyais et je roule dans l’eau sur le sol. La griffe monte, puis descend, avec un mouvement rapide et incertain, frappant le pont d’un coup sourd et violent, à un pied de ma tête. Joky pousse un petit cri d’horreur. Lentement, la Chose s’élève et commence à tâtonner autour de la couchette. Il plonge vers une couchette et en sort un traversin, le coupe en deux et le laisse tomber, puis continue son chemin. Il fouille le long du pont. Ce faisant, il rencontre une moitié du traversin. Il semble jouer avec, puis la ramasse et la sort par le sabord…

Une vague d’air putride remplit la couchette. Il y a un bruit grinçant, et quelque chose entre à nouveau dans le sabord – quelque chose de blanc, effilé et serti de dents. Il s’enroule ici et là, râpant les couchettes, le plafond et le pont, avec un bruit semblable à celui d’une grande scie au travail. Deux fois, il scintille au-dessus de ma tête et je ferme les yeux. Puis il est resorti. Cela tâte maintenant de l’autre côté de la couchette et plus près de Joky. Soudain, le bruit dur et rauque s’éteint, comme si les dents traversaient une substance molle. Joky pousse un horrible petit cri, qui se transforme en un sifflement bouillonnant. J’ouvre les yeux. Le bout de la vaste langue est étroitement enroulé autour de quelque chose qui coule, puis est rapidement retiré, permettant aux rayons de lune de se faufiler à nouveau dans la couchette. Je me lève. En regardant autour de moi, je constate d’une manière machinale l’état de délabrement de la cabine... les coffres brisés, les couchettes démontées, et autre chose…

— Joky !

Je pleure et je frémis partout.

Il y a encore cette chose horrible à bâbord. Je cherche une arme du regard. Je vais venger Joky. Ah ! là, juste sous la lampe, là où l’épave du coffre du Charpentier jonche le sol, se trouve une petite hachette. Je m’élance et m’en empare. C’est petit, mais si aiguisé... si aiguisé ! Je sens son fil du rasoir avec amour. Puis je suis de retour au sabord. Je me tiens sur le côté et lève mon arme. La grande langue cherche son chemin vers ces restes redoutables. Cela les atteint. Ce faisant, avec un cri de « Joky ! Joky ! » Je frappe sauvagement encore et encore, haletant ; une fois de plus la masse monstrueuse tombe sur le pont en se tordant comme une hideuse anguille. Un flot immonde et chaud s’engouffre par le hublot. On entend un bruit d’acier qui se brise et un énorme mugissement. Un chant me parvient aux oreilles, de plus en plus fort. Puis la cabine devient indistincte et soudain sombre.

Extrait du journal de bord du bateau à vapeur Hispaniola.

24 juin. — Lat. — N. Long. — O. 11 heures du matin — Quatre-mâts barque aperçu à environ quatre points sur la proue bâbord, signal de détresse volant. Nous avons couru vers lui et envoyé un canot à son bord. Il s’est avéré qu’il s’agissait du Glen Doon, qui rentrait chez lui de Melbourne à Londres. Nous avons trouvé les choses dans un état épouvantable. Des ponts couverts de sang et de bave. Dans le rouf en acier détruit, porte ouverte, nous avons découvert un jeune d’environ dix-neuf ans au dernier stade d’inanition, ainsi qu’une partie des restes d’un garçon d’environ quatorze ans. Il y avait à cet endroit une grande quantité de sang et une énorme masse recroquevillée de chair blanchâtre, pesant environ une demi-tonne, dont une extrémité semblait avoir été entaillée avec un instrument tranchant. J’ai trouvé la porte du gaillard d’avant ouverte et suspendue à une charnière. La porte était bombée, comme si quelque chose l’avait forcée. À l’intérieur, la situation était épouvantable ; du sang partout, des coffres brisés, des couchettes fracassées, mais pas d’hommes ni de restes humains. Nous sommes retourné à l’arrière où nous avions trouvé le jeune qui revenait à lui. Quand il a été assez remis, il a donné le nom de Thompson. Il dit qu’ils avaient été attaqués par un énorme serpent – ​​ils pensaient qu’il devait s’agir d’un serpent de mer. Il était trop faible pour dire grand-chose, mais il nous a dit qu’il y avait des hommes sur le grand mât. Nous avons envoyé une équipe les chercher, qui les trouva attachés au cacatois, tout à fait morts. Dans la cabine, nous avons trouvé la cloison brisée en morceaux et la porte fracassée sur le pont, près de l’écoutille arrière. On a trouvé le corps du capitaine dans le lazarette, mais aucun officier. J’ai trouvé parmi les débris une partie de l’affût d’un petit canon. Je suis revenu à bord.

J’ai envoyé le second lieutenant avec six hommes pour l’amener au port. Thompson est avec nous. Il a rédigé sa version de l’affaire. Nous considérons certainement que l’état du navire, tel que nous l’avons trouvé, confirme à tous égards son histoire.

(Signé)
William Norton (Maître).

Tom Briggs (1er lieutenant).