Accueil > Ebooks gratuits > Charles Torquet : L’appel d’un autre monde

Charles Torquet : L’appel d’un autre monde

Je sais tout, 15 novembre 1906

mercredi 10 mai 2023, par Denis Blaizot

Ebooks gratuits
Des Epub et Pdf faits avec soin pour vous faire redécouvrir des œuvres anciennes tombées dans le domaine public.

J’ai découvert cette nouvelle par le plus grand des hasards sur l’autre face du monde. Quelle pouvait bien être ma recherche du moment ? Mystère.

Un petit effort et je la trouve dans les serveurs de la BNF. Gallica est très souvent ton ami quand tu cherche une copie d’un livre ou d’une revue anciens.

Vous pourrez donc lire cette nouvelle dans son jus ici
Mais je vous propose tout simplement de la lire ci-dessous ou de télécharger le pdf du texte remis au propre.

Charles Torquet Charles Torquet Charles Torquet (San-Francisco, 05-05-1864 — Paris, 23-04-1938) est surtout connu pour avoir traduit deux œuvres de Dostoïevski : Les frères Karamassov et Carnet d’un inconnu. Mais il a également signé ou cosigné un certain nombres de scénarios de films (il me parait improbable qu’il s’agisse d’un homonyme). Il serait intéressant, mais fastidieux, de déterminer si d’autres travaux de Charles Torquet se cachent dans les pages de Je sais tout ou d’autres revues françaises.
Il était le frère de John-Antoine Nau.
(San-Francisco, 05-05-1864 1864 — Paris, 23-04-1938 1938 ) est surtout connu pour avoir traduit deux œuvres de Dostoïevski : Les frères Karamassov et Carnet d’un inconnu. Mais il a également signé ou cosigné un certain nombres de scénarios de films(il me parait improbable qu’il s’agisse d’un homonyme). Il serait intéressant, mais fastidieux, de déterminer si d’autres travaux de Charles Torquet Charles Torquet Charles Torquet (San-Francisco, 05-05-1864 — Paris, 23-04-1938) est surtout connu pour avoir traduit deux œuvres de Dostoïevski : Les frères Karamassov et Carnet d’un inconnu. Mais il a également signé ou cosigné un certain nombres de scénarios de films (il me parait improbable qu’il s’agisse d’un homonyme). Il serait intéressant, mais fastidieux, de déterminer si d’autres travaux de Charles Torquet se cachent dans les pages de Je sais tout ou d’autres revues françaises.
Il était le frère de John-Antoine Nau.
se cachent dans les pages de Je sais tout ou d’autres revues françaises.

Il était le frère de John Antoine Nau.


Ce qu’est la planète Mars... au bout du télescope

Les plus puissants instruments d’optique ne nous donnent encore qu’une image imparfaite de ce globe éloigné du nôtre de plus de 50 millions de kilomètres et qui se présente sous l’aspect d’une sphère rougeâtre semée de points éblouissants. Toutefois par leurs observations successives, les astronomes « spécialistes » de Mars sont arrivés à déterminer la carte que nous donnons. C’est sur cette surface astrale que sont apparus aux yeux des savants, en 1901 1901 , trois points mystérieux.


L’appel d’un autre monde

Il se passe en ce moment des choses étranges. Depuis quelques temps, vers minuit, les postes de télégraphie sans fil enregistrent pendant une assez longue période le signal : trois points obstinément répété. Après enquête, on sait qu’aucune station terrestre n’a lancé pareille dépêche à pareille heure. Quel est-donc cet appelle mystérieux ? Voilà trois points qui rappellent singulièrement trois autres points observés sur la planète Mars en 1901 1901 .


Minuit.

Toc-toc-toc !... Toc-toc-toc !... Toc-toc-toc !...

Trois petits coups brefs et précipités résonnent obstinément dans le vaste silence du poste Marconi où les employés somnolent et les réveillent en sursaut, effarés, vaguement inquiets.

— Entendez-vous ? Voilà que ça recommence. Mais qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire ? Qui diable envoie ça ?

— Vous ne savez plus votre alphabet Morse ? Trois brèves, ça veut dire S.

— Ce récepteur qui ne cesse de faire S... S... S... sans qu’on sache pourquoi ! C’est énervant à la fin. Tenez.

Toc-toc-toc !... Toc-toc-toc !...

— Eh bien, oui. Que voulez-vous ? Toutes les nuits, c’est comme ça quand arrive minuit.

Tant qu’on télégraphiera S, le récepteur enregistrera S. Quand ils en auront assez, ils arrêteront.

Mais dans leur poste perdu au bout de ce promontoire solitaire, par le silence pesant de cette nuit déserte, les employés du télégraphe sans fil sentent sur leur échine ce petit frisson douloureux qu’y fait courir en l’effleurant, l’aile noire du mystère. Depuis quelques jours déjà ces trois coups se répètent opiniâtrement. On s’est informé auprès des autres postes du monde entier : personne n’a lancé cet appel. Il y a quelqu’un qui télégraphie, mais cela ne vient pas de la Terre. Alors, il faut donc que ce soit de quelque part au-delà de la Terre ? Quelle est cette petite voix têtue qui nous appelle dans l’ombre à travers la froide immensité des espaces sidéraux ?

Trois points ? Attendez donc... Mais en 1892 1892 , puis en 1901 1901 , on parla déjà de trois points, dans la chronique du ciel. En ces deux années, les télescopes puissants purent distinguer sur la planète Mars, un triangle fait de trois points lumineux, petit à notre vue, mais en réalité immense, un triangle dont les côtés avaient plusieurs centaines de kilomètres. Ces trois foyers lumineux tranchaient par la blancheur de leur éclat sur le fond rouge sang de Mars.

On ne les avait jamais remarqués auparavant et leur disposition régulière leur donnait un caractère très probablement intentionnel.

On se demanda alors si, habitée, la planète Mars ne nous faisait pas des signaux. Il fut même question d’y répondre.

L’idée fut lancée d’uns souscription en ce but et puis survint sans doute quelque scandale retentissant ; l’attention s’en détourna et l’on n’en parla plus.

Trois points signifient S en alphabet Morse, mais, en télégraphie acoustique familière, ça veut dire : « Êtes-vous là ? Peut-on entrer ? ou encore : Attention ! On va commencer. »

Et peut-être Mars veut-elle frapper les trois coups annonçant le lever du rideau sur une grande première cosmique : L’entrevue de Mars et de la Terre. Le triangle, ce beau geste de pantomime, n’ayant pas été compris, les Martiens ont recours à la parole, au moins à l’onomatopée : Toc-toc-toc !... Quelques chose comme : Allô ! Allô !

Faut-il donc que notre indifférence leur réponse : Personne ! Les décourage à jamais d’entrer en relations avec nous ? Allons-nous rebuter ces frères lointains qui « nous font des avances » ? Si les Martiens tentent d’entretenir avec nous, allons-nous les traiter par le mépris sous prétexte qu’ils ne sont pas de notre monde ?

Il semble pourtant qu’une pareille conversation ne pourrait manquer d’être fort instructive et notre science et notre civilisation y gagneraient sans doute beaucoup si elles ne devaient pas en faire soudainement un pas géant.

Mais, avant tout, qu’est-ce que Mars et l’existence des Martiens est-elle admissible ?

La planète Mars est très semblable à notre Terre. Les saisons. Les canaux.

Mars est la première des planètes supérieures, c’est-à-dire de celles dont la distance du soleil est plus grande que la nôtre. Comme la Terre, elle possède une atmosphère dont la composition, étudiée au spectroscope, ce merveilleux instrument qui révèlent les éléments des corps d’après la lumière qu’ils émettent, est sensiblement la même. C’est peut-être parce qu’elle apparaît d’un rouge de sang que les anciens l’avaient consacrée au dieu de ma guerre et que Wells la veut habitée par des êtres monstrueux et épouvantablement féroces. Son diamètre est la moitié de celui de la Terre, et son volume est, par conséquent, sept fois moins considérable : une pomme d’api à côté d’une calville. Lorsque, dans sa course elliptique autour du soleil, elle s’approche de nous le plus possible, elle en est à 56 millions de kilomètres, puis elle s’éloigne jusqu’à 400 millions de kilomètres. Ce sont là des nombres qu’on énonce, mais dont aucune comparaison ne saurait donner une idée claire. Ils sont justes jusqu’à une très grande approximation, à cent mille kilomètres près : Une paille ! Disais, je crois, le célèbre astronome Lalande.

Les jours de Mars sont à peu près égaux aux nôtres : 24 heures 39 minutes 23 secondes. Elle tourne autour du soleil en un peu plus de 686 jours, en sorte que les saisons y sont presque deux fois plus longues que chez nous. L’atmosphère de Mars est riche en vapeur d’eau. On y observe des mers et, des pôles, des glaces abondantes qui fondent quand vient l’été. Les variations de température y sont excessives. Elle reçoit moitié moins de chaleur solaire que notre globe. Le soleil y apparaît moitié moins large et ses nuits sont éclairées par deux lunes plus petites que la nôtre : Deimos et Phobos. La pesanteur y est telle qu’un de nos kilogrammes n’y pèserait plus que 376 grammes. Un homme est tout au plus capable de porter sur son dos son propre poids. Transporté sur Mars, il porterait trois fois autant, quelque chose comme 225 kilos, soit le poids d’un autre homme, mais plus beau, plus grand et à quatre pattes.

Quand on observe Mars au télescope, on voit un disque bien net, rouge et parsemé de taches plus ou moins brillantes. Les unes, verdâtres, sont les mers, d’autres, bien rouges, sont les terres, plus étendues que les premières, au contraire de ce qui se passe sur Terre. Enfin, les plus brillantes sont les glaces polaires. Certaines taches également brillantes sont les nuages.

L’atmosphère de Mars est plus transparente que la nôtre et son ciel est incomparablement plus pur.

Les eaux de Mars sont très fractionnées, distribuées en mers intérieures qui réunissent de longs bras parfois incurvées, mais le plus souvent presque rectilignes, qui coupent de traits sombres la brillante surface de la planète, comme les filets de plomb divisent les vitraux de nos églises. Tous ces traits sombres forment un enchevêtrement relativement symétrique, et qui ne semble pas le produit du hasard. Une pareille régularité doit être voulue et, depuis longtemps, les observateurs de Mars furent assez disposés à considérer ces traits comme des canaux creusés par les habitants de la planète pour les besoins de leur civilisation. Mais la particularité la plus curieuse de ces canaux, c’est qu’à certains moments, ils se dédoublent. Une ligne nouvelle apparaît, parallèle à l’un des canaux existants et c’est surtout au printemps que se manifeste ce phénomène. Les astronomes qui se sont surtout occupé de cette étrange et difficilement explicable question des canaux sont un Italien, M. Schiaparelli et M. Perrotin, de Nice. Ce dernier a constaté à la surface de Mars des inondations submergeant jusqu’à 600.000 kilomètres carrés, de quoi recouvrir la surface de la France !

L’existence des Martiens est fort probable. Ils ne seraient pas les monstres sanguinaires imaginés par Wells

Mars est donc dans des conditions analogues à celles de la Terre, conditions nécessaires et suffisantes au développement de la vie d’après tout ce qu’enseignent nos savants. Atmosphère constamment remuée et assainie par de vastes courants d’air qui la parcourent d’un bout à l’autre, terres en contact avec autant d’eau fertilisante qu’il est nécessaire, chaleur appréciable du soleil. Cependant, si ces conditions physiques sont analogues, elles ne sont pas identiques. Nous avons dit que les écarts de température devaient être excessifs. Les inondations sont fréquentes et formidables. La pesanteur est trois fois plus faible. Cela posé, puisque Mars est probablement habité, que peuvent bien être les Martiens ? Il va sans dire que les Martiens de Wells, que nous présentions naguère à nos lecteurs, ne sont qu’un produit de l’ardente imagination du remarquable écrivain anglais et que cette création de toutes pièces ne repose sur rien d’observé, de scientifique. On comprendrait difficilement que ces êtres monstrueux, capables d’inventions extraordinaires et d’une si puissante intellectualité fussent en même temps des sortes de bêtes féroces affamées de meurtre et de sang.

Un savant, qui est aussi un rêveur et un poète, M. Camille Flammarion, dans son livre Uranie, suppose que les Martiens sont des êtres très supérieurs, intellectuellement et physiquement à ceux que nous sommes. Ils posséderaient des sens que nous n’avons pas, entre autres celui qui permet de deviner la pensée d’un interlocuteur avant qu’elle ait été formulée en parole. Leurs corps seraient semblables aux nôtres, mais sublimés, faits d’une matière plus fine, délivrés des basses servitudes de la nourriture.

— Ici, dit un Martien interviewé en rêve (car on sait que M. Flammarion est un spirite convaincu et militant) ici, on ne mage pas, on n’a jamais mangé, on ne mangera jamais... Les organismes se nourrissent, autrement dit renouvellent leurs molécules, par une simple respiration, comme le font vos arbres terrestres dont chaque feuille est un petit estomac... Vous, vous avez les bras pleins de sang. Vos estomacs sont gorgés de victuailles.

Comment voulez-vous qu’avec des organismes aussi grossiers que ceux-là vous puissiez avoir des idées saines, pures, élevées – je dirai même (pardonnez ma franchise), des idées propres ?

Ce Martien est sévère mais juste. Cependant, il est facile de blâmer les autres alors qu’on a chez soi la question sociale résolue par ce simple fait que les Martiens (toujours d’après le rêve de M. Flammarion), outre qu’ils ne mangent pas, peu sensibles aux variations de température, n’habitent pas de maisons. Appartenant à une espèce à six membres, possédant bras, jambes, plus une excellente paire d’ailes, ils passent leur vie à voleter dans l’espace.

L’été, ils se rapprochent des pôles, alors que les neiges sont fondues ; l’hiver, ils retournent vers l’équateur. Affranchis de toutes nos préoccupations vitales, ils ne seraient occupés que de choses intellectuelles. Ce seraient des sortes d’anges. Les animaux supérieurs, à peu près aussi intelligents que les hommes terrestres – merci bien ! – accompliraient tous les travaux nécessaires. Mais d’autres rêveurs ne sont pas de l’avis de M. Flammarion, estimant que son plan de vie martienne est plein de contradictions.

Les Martiens, vivant dans des conditions différentes des nôtres, doivent en effet posséder des organismes plus ou moins différents des nôtres. Leur planète, beaucoup plus vieille que la Terre, doit probablement en être parvenue à une civilisation très avancée. Il y a des chances nombreuses pour que leur science ait déjà percé des mystères qui nous échapperont encore longtemps. Leur machinisme peut avoir atteint un point de perfectionnement insoupçonné de nous et peut-être leurs appareils d’observation leur permettent-ils de nous voir vivre alors que nous en sommes encore à douter de leur existence. Il est vrai que, s’il en est ainsi, s’ils peuvent se rendre compte de notre misérable vie de polichinelles, on se demande quel intérêt ils trouvent à causer avec les gamins mal élevés que nous sommes par rapport à eux.

Mais, s’ils étaient aussi éthérés que le veut M. Flammarion, exempts des soucis de la vie matérielle, ils se contenteraient de leurs ailes en fait de véhicules et auraient été bien sots de se donner tant de mal pour creuser des canaux innombrables (dont certains sont longs de 5.000 kilomètres et larges de 200) afin d’alimenter un commerce inutile et de transporter des marchandises dont ils n’ont cure, des bagages dont ils n’auraient pas l’emploi. Donc, s’il y a des Martiens, comme c’est probable, ils sont sans doute plus civilisés que nous, mais encore préoccupés de besoins matériels. On ne creuse pas de pareils canaux, on n’exécute pas de pareils travaux d’Hercule dans le seul but de se distraire et quand on n’a besoin que de remuer des idées, on laisse les eaux et les terres en place.

Largement irriguée comme elle l’est, Mars est couverte d’une végétation luxuriante, où la couleur rouge doit dominer, au lieu de cette verte couleur de nos prés, qui nous est si douce. Certains savants pensent même que ce phénomène si singulier du doublement des canaux, lequel apparaît généralement à la fin du printemps, après ce que nous croyons être la saison des inondations, ne serait dû qu’à une abondante poussée de végétation sur les terres fertilisées par l’eau débordée. Mais alors, pourquoi cette végétation ne se produirait-elle que sur un seul côté du canal ?

On peut donc supposer que sur Mars, les herbes et les feuillages sont rouges. M. Flammarion y voit butiner des insectes grands comme des oiseaux et il en imagine ses paysages délicieux et tendres, sous ce ciel pur et cette atmosphère transparente, tout remplis des reflets moirés de cette eau partout présente et parsemés de nombreuses et énormes fleurs. L’air léger frémit de bruits harmonieux inconnus à la terre et les êtres y sont eux-mêmes si légers !

Pensez donc qu’un homme capable sur terre de sauter à un mètre de hauteur s’élèverait aisément sur Mars à trois mètres. Dans la nuit, les deux lunes beaucoup plus petites que la nôtre, versent leurs clartés. La plus grosse des deux parcourt le firmament avec une vitesse considérable et parfaitement sensible à l’œil. La Terre y brille comme une étoile de première grandeur, à la façon de Vénus dans notre ciel.

Nous nous imaginons volontiers qu’au sein de ce monde clément, en possession d’une civilisation et d’une science extrêmement avancées, ceux qui jouent là-haut le rôle d’hommes doivent être bons et fraternels et aimer le savoir par-dessus toutes choses.

Mais pourquoi nous torturer l’esprit alors qu’un occultiste américain affirme lui aussi, avoir dernièrement fait, le mois dernier, un petit voyage sur la rouge planète, tandis que des témoins nombreux surveillaient le sommeil somnambulique dans lequel il avait commencé par se plonger.

Il eut du mal à respirer en traversant l’éther et cela se comprend. Il entra en transpiration au contact de bolides ignés, puis grelotta à faire pitié dans des régions abominablement froides.

Ayant abordé sur Mars au sommet d’une montagne, il vit les Martiens lui tendre les bras. Et il nous donne sur eux des « tuyaux » fort précis :

Les Martiens sont de deux sortes : les uns géants quatre fois plus grand que l’homme et extrêmement velus, n’ont pas besoin de vêtements ; leur voix produit un tapage épouvantable. Les autres Martiens, qui sont des sortes de troglodytes, possèdent la précieuse faculté de se promener le long des murs à pics à l’instar des mouches.

Ils ont les yeux sur les côtés de la tête comme les chevaux et des trous dans les joues suppléent à leur nez absent. Ils vivent parmi des animaux qui ne ressemblent nullement aux nôtres et qui sont verts, roses, jaunes. Cet étrange voyageur, nommé Leyson, est, paraît-il un homme de cinquante-quatre ans et des plus sérieux. Il a renouvelé trois fois sa promenade et a revu chaque fois les mêmes choses. Il s’est mis à instruire neufs médiums qu’il se propose d’emmener avec lui lors de sa prochaine excursion martienne. Si ce procédé est reconnu pratique, on organisera certainement de grands voyages collectifs et somnambuliques qui auront ce singulier effet d’empêcher Cook de dormir.

Comment répondre ? Procédés possible. Conseils d’une aïeule. L’intersidérale.

Il est permis de plaisanter. Mais, puisque beaucoup de gens sérieux et réfléchis estiment qu’il faut croire aux Martiens, bien qu’il nous soit difficile de décrire a priori leur aspect, leur caractère et leurs coutumes, ne devons-nous pas nous préoccuper de répondre aux signaux qu’ils semblent nous faire ? Alors, comment nous y prendre ? On a proposé bien des systèmes. Celui auquel on revient le plus fréquemment, fut, je crois, exposé pour la première fois par cet étonnant Charles Cros qui, non content d’être l’admirable poète du Coffret de santal, fut encore le précurseur de la plupart des grandes découvertes faites après lui : phonographe, téléphone, téléphone sans fil, photographie des couleurs, reproduction artificielle et intégrale des pierres fines, etc., etc. Charles Cros eût voulu établir en plusieurs points de la terre, à de grandes distances, mais suivant une figure géométrique régulière, des sortes de phares électriques de très grande puissance et les laisser en activité jusqu’à ce qu’on eût vu la même figure reproduite sur Mars. On aurait alors la preuve que les Martiens existent, qu’ils ont compris notre appel et qu’ils y répondent. Alors, par tâtonnements, comme les prisonniers qui causent entre eux en frappant sur les murs de leur prison, on arriverait à constituer un alphabet, un code de signaux et la conversation commencerait. D’autres voudraient qu’on renforçât l’éclat de ces foyers en le recueillant dans de puissants réflecteurs qui le renverraient, centuplé, vers la planète visée. Un inventeur, proposait de projeter des caractères sur la lune qui servirait d’écran. On imagine sans peine tout le bénéfice que nous pourrions tirer des précieux conseils à nous prodigués par cette terre bien plus vieille et plus expérimentée, par cette aïeule qui nous donnerait un bœuf pour avoir un œuf. Et ce procédé d’acquisition serait joliment conforme à notre goût du travail tout fait et des alouettes nous tombant du ciel toutes rôties.

Qui sait ? Peut-être la fraternité véritablement universelle qui finirait par résulter de ces relations entre les astres nous aiderait-elle à réaliser la fraternité humaine apparemment encore si lointaine. L’Intersidérale servant de préface à l’Internationale !

Conclusion prudente

J’ai dit tout cela à un grand savant et je lui ai demandé ce qu’il en pensait. Il m’a regardé avec cette attention distraite qu’on accorde à un fétu de paille et a répondu :

— Il n’y a personne d’aussi présomptueux qu’un ignorant.

Pourquoi les savants se dispensent-ils si volontiers des formalités de la politesse ? J’aurai dû me souvenir d’une semblable aventure arrivée avant moi au Père Gratry, qui n’était pourtant pas un âne. Il alla trouver l’astronome Poinsot et lui demanda de le tirer d’un doute angoissant.

— Dites-moi, M. Poinsot, les autres planètes sont-elles habitées ?

Poinsot releva une tête distraite, le regarda fixement et fit :

— Je n’en sais rien.

Et puis il se pencha de nouveau sur ses calculs.

Le Père Gratry était bien avancé.

Charles Torquet Charles Torquet Charles Torquet (San-Francisco, 05-05-1864 — Paris, 23-04-1938) est surtout connu pour avoir traduit deux œuvres de Dostoïevski : Les frères Karamassov et Carnet d’un inconnu. Mais il a également signé ou cosigné un certain nombres de scénarios de films (il me parait improbable qu’il s’agisse d’un homonyme). Il serait intéressant, mais fastidieux, de déterminer si d’autres travaux de Charles Torquet se cachent dans les pages de Je sais tout ou d’autres revues françaises.
Il était le frère de John-Antoine Nau.